L’Himalaya en sandalettes
Samedi 22 mars 2003Pokhara, 22 mars 2003
A Pokhara (Nepal) les seuls monuments à visiter sont des montagnes. Mais quelles montagnes ! Celles du massif des Annapurna qui additionnent les sommets entre 7000 m et 8000 m sur tout l’horizon au nord de la ville.
Le seul mot de trek qui consiste à approcher ces monstres suffit à faire fuir Rose et Raoul Piche. Pour eux, trek, est synonyme de guide, de porteur, d’interminables journées de marche, de nuits glacées dans de rudimentaires refuges, de souffle court à des altitudes inhabituelles, etc. Pour Rose et Raoul, l’altitude de référence, c’est le zéro du niveau de la mer. Il leur aura fallu quelques splendides promenades autour de Pokhara (dont une de 9h et demie) et quelques conversations avec des touristes ayant treké pour comprendre leur erreur.
Les treks dans le massif de l’Annapurna ne sont rien d’autre que des balades sur des sentiers escarpés, certes, mais parfaitement identifiés qu’ailleurs on appellerait “de grande randonnée”. Ayant compris cela, Rose et Raoul décident d’entreprendre, sans guide ni porteur, un trek de cinq jours qui va les conduire à l’altitude inouïe, pour eux, de 3200 mètres, les pieds à toucher la neige.
Le départ de la marche s’effectue dans une belle vallée où coule une rivière impétueuse qu’ils traversent sur un pont suspendu. Le chemin recouvert de dalles de pierres offre une pente continue mais facile. Rose et Raoul croisent des porteurs chargés de masses invraisemblables de sacs ou de colis contenant des batteries de cuisine, des tables, d’énormes tentes, etc. Ces chargements sont tenus par une courroie qui passe sur leur front et c’est, courbés, la tête penchée vers le sol, qu’ils avancent, chaussés de tongues usées.
Peu après, Rose et Raoul croisent une cohorte de Japonais pimpants, plutôt âgés, libres de tout bagage qui marchent en ligne derrière leur guide. Plus loin, ils sont doublés par un troupeau d’ânes amenant le nécessaire dans les villages accrochés à flanc de montagne.
Groupe de marcheurs, marcheurs solitaires, porteurs, guides, ânes, villageois animeront pendant cinq jours les marches de Rose et de Raoul sans qu’ils aient, pour autant, l’impression de se trouver sur une autoroute.
On leur a dit que, tout au long des sentiers, des hameaux proposaient le gîte et le couvert. Ce qu’ils vérifient très vite. Et cela change tout. Quoi de plus facile que de marcher dans la montagne lorsqu’on sait que toutes les deux heures on trouvera à manger (plutôt bien) et de quoi dormir. Inutile donc de se charger de nourriture et de couchage.
A la fin de leur première journée, Rose et Raoul ont gagné 500 mètres d’altitude, presque sans s’en rendre compte, traversant un paysage de cultures en terrasse, de rivières et de hameaux paisibles. Le second jour est plus sérieux car il leur faut gagner 1300 m de dénivelé, dont 600 d’un seul coup, dès le début de la marche. Mais, comme partout dans ces massifs, les pentes les plus rudes sont empierrées, il “suffit” donc de monter 3280 marches de pierres pour gagner ces 600 m (soit, deux tours Eiffel, du sol au troisième étage, en 1 h 1/2). Le reste du chemin ne cesse de grimper mais avec une pente plus raisonnable.
Rose et Raoul traversent des forêts de chênes et d’éblouissants rhododendrons géants, en fleurs (des arbres de 15 à 20 mètres de haut), des hameaux, des cultures en terrasses dont la beauté fait oublier l’effort de la marche. Un effort tout relatif, car Rose et Raoul ont pris le parti, lorsque la montée est raide, de marcher le plus lentement possible. Une tactique efficace, car en dépit de l’altitude croissante ils ne sont jamais essoufflés. Raoul, qui transpire pour un rien, est en nage mais frais comme un gardon. Rose, elle, s’étonne de sa facilité à marcher.
La fin du second jour les voit perchés dans une auberge à 2800 m d’altitude. Le lendemain, à 5 h 30 du matin, ils montent vers le lieu dit Poon Hill, surnommé le balcon de l’Annapurna, à 3200 m d’altitude.
Face à Poon Hill, presque à les toucher, se dressent des sommets aux noms mythiques : Dhaulagiri (8167 m), Annapurna Sud (7220 m), Annapurna I (8091 m, celui de Herzog) Annapurna II, III, IV (7500 à 7900 m), Machapuchhre (7000 m), Nilgiri, etc. A 7 h, les nuages se dissipent et offrent à Rose et Raoul le plus beau cadeau de leur voyage : une vue dégagée sur la totalité du massif depuis le Dhaulagiri, à l’ouest, jusqu’a l’Annapurna IV, à l’est. Un spectacle unique au monde qu’ils partagent avec une cinquantaine de marcheurs matinaux venus de tous les continents.
Après avoir usé une pellicule à tenter de saisir l’insaisissable, Rose et Raoul reprennent leur route pour leur troisième jour de marche. Une journée écourtée par une pluie torrentielle dès 12 h 30. Qu’à cela ne tienne, puisque l’auberge où ils déjeunent possède des chambres, Rose et Raoul font la sieste … jusqu’au soir. La pluie cesse à 19 h. Repas, re-dodo.
Au petit matin, ils retrouvent les forêts de rhododendrons en fleur, les villages, les torrents, les villageois souriants, les porteurs, les chemins empierrés, les marches empierrées, etc. La beauté simple et préservée d’une nature grandiose. Les descentes succèdent aux montées qui précèdent de nouvelles descentes, quasiment sans alternance de terrains plats. Le cinquième jour, le retour vers la vallée de départ et sa rivière, 1000 mètres en contre-bas, offre des vues d’une ampleur saisissante.
Au fil des jours, Rose et Raoul Piche voient leur passion pour la marche dans ces lieux s’épanouir. Ils se disent prêts à revenir pour d’autres treks. Ils ont, notamment, le regard fixé sur un petit col à 5400 m d’altitude, au nord de l’Annapurna, qui ne leur paraît plus totalement inaccessible (ils attendront quand même que leurs amis Pierre et Chloé en soient revenus et leur raconte la chose). Ils se disent également décidés à convaincre les uns et les autres à se rendre un jour dans ce coin de paradis. Ils ramènent avec eux toutes les cartes et toutes les informations pour y parvenir. Ils ne vous lâcheront pas, cramponnez-vous à vos sacs à dos !