Des heures de descente pour 300 mètres de chute
Khun Yuan, 18 mars 2002.
Les routes de la région montagneuse au nord et à l’ouest de Chiang Mai enchaînent virages sur virages, montées après descentes. Non pas que le relief soit celui des Alpes, bien au contraire. Il est formé d’une infinité de monts entre 600 et 1600 mètres mais avec très peu de vallées et aucun plateau. Si bien qu’au pied de l’un de ces monts succède immédiatement la route vers le sommet du mont suivant, et ainsi de suite sur des centaines de kilomètres. Dans les parcs nationaux, rigoureusement protégés, la végétation est celle d’une forêt tropicale, dense, verte, avec des essences variées en fonction de l’altitude, notamment des pins. Sorti des parcs, la forêt subit les attaques des hommes dont la plus commune est le feu. Il est impossible de porter son regard sur le paysage sans apercevoir de la fumée. Des sous-bois calcinés sont visibles partout. Ces brûlis servent parfois à préparer la terre pour la culture mais le plus souvent ils sont destinés à éliminer l’épais tapis de feuilles mortes qui rend les déplacements sur ces pentes fort glissants pour les chasseurs, les trafiquants et les paysans. Evidemment, le feu détruit toute la végétation y compris les arbres et provoque à la saison des pluies une dramatique érosion des sols. Les autorités tentent d’endiguer cette pratique mais avec un insuccès patent. La densité des feux dans cette vaste étendue montagneuse est telle que partout le ciel est voilé, les fumées diffuses s’ajoutant à la brume de chaleur.
Rose et Raoul Piche ont apprécié au plus près la beauté du sous bois lors d’une longue marche vers les chutes de Mae Surin, les plus hautes de Thaïlande. Arrivés sur place, ils aperçoivent une pancarte où est inscrit “vers les chutes”. Sans hésiter, munis de leurs maillots de bain et des provisions pour le déjeuner, ils embouquent le sentier indiqué. Celui-ci, étroit et pentu est couvert d’un tapis de feuilles mortes qui rend la descente effectivement très glissante. Ils descendent, descendent, descendent toujours et pourtant, même en dressant bien l’oreille, ni l’un ni l’autre ne perçoit le moindre bruit d’eau. La marche continue. Rien, sinon d’incessantes glissades qui portent Rose et Raoul à une certaine indulgence vis à vis des incendiaires. P…… de feuilles. Pas un replat, de la déscente uniquement de la descente! Progressivement, un murmure d’eau vient d’en bas. Avec lui, l’espoir que la désescalade finisse, car à chaque mètre de dénivelé Rose et Raoul imaginent qu’au retour leur accumulation formera une épuisante montée. Enfin, le fond du fond est atteint dans un épais sous-bois où l’on entend tous les bruits de la forêt (oiseaux, insectes) et celui de l’eau du ruisseau qui devrait les conduire à la cascade. Ils remontent son cours. Le temps passe et toujours pas de chute. Ils marquent une halte avec baignade dans une eau si fraîche qu’elle engourdit les membres. La marche reprend. Ca y est ! on les entend, elles sont proches. Trois méchants rondins de bois jetés à travers la rivière restent à franchir et … victoire, une impressionnante falaise verticale de 300 mètres de haut apparaît soudain. L’eau qui s’élance d’en haut explose sur les rochers dans sa chute et offre à Rose et Raoul une brumisation et un spectacle qui les payent de leurs efforts.
La montée sur le chemin du retour sera volontairement lente. Rose et Raoul savent à quoi s’en tenir. A 16 h 30, ils retrouvent la pancarte “vers les chutes” qu’ils avaient croisée à 12 h. Raoul est alors pris d’une terrible intuition.
- Tu ne crois pas que là où nous n’avons pas voulu nous arrêter en arrivant, là où se trouve une pancarte “point de vue”, on pourrait apercevoir les chutes ? demande-t-il soudain à Rose.
- Il faut aller voir, ce serait un comble ! lui répond-elle
Ils remontent la route sur 200 mètres et, au lieu dit, ils découvrent un promontoire qui offre une superbe vue, d’en haut, sur les chutes.
- Un truc pour les feignants, grommelle Raoul, devenu subitement grincheux.