Des femmes dures à la tâche
Pingan, 16 mars 2006
- Elle est aussi âgée que moi, je ne vais pas lui faire porter ma valise jusqu’au village, là-haut !
En dépit de l’empressement de la vieille dame, en réalité beaucoup plus âgée que Rose, celle-ci s’obstine à tirer son sac-à-dos-valise-à-roulette sur le chemin qui grimpe vers Ping An, village de la minorité Dong perché au sommet des collines. La pente est si raide qu’après dix minutes le sentier devient escalier. Alors, Rose jette l’éponge. Elle abandonne son bagage à la vieille dame, tout sourire, qui avait suivi, se doutant qu’au début des marches elle aurait ses chances. Cette dernière, place le sac dans la hotte qu’elle porte sur son dos.
Dix minutes plus tard, le village Dong apparaît dans toute sa splendeur. Les grandes maisons de bois sombre, aux proportions harmonieuses, aux fines tuiles arrondies et aux toits à pentes multiples s’étagent sur le flanc de la colline. Ni voiture, ni vélo tant les allées qui font office de rues sont pentues et étroites. Lorsque deux personnes se croisent l’une s’efface pour laisser le passage. A chaque croisement les Piche se fendent d’un sonore “Ni Rao” (bonjour) et reçoivent en retour le même salut souvent accompagné d’un sourire amical.
Les deux seuls moyens de transport sont le balancier de bambou sur l’épaule pour les marchandises et… la chaise à porteur pour les riches touristes chinois. Les femmes vêtues d’habits traditionnels, jupe noire et corsage fuschia ornés de broderies portent, en guise de coiffe, des serviettes de bain aux teintes vives, nouées en turban.
L’hôtel où sont conduits les Piche est une construction en bois, inachevée, bâtie sur le modèle des maisons traditionnelles. L’hôtesse leur vante “l’eau chaude 24h/24h”. Elle est en dessous de la vérité. La douche ne comporte que le robinet d’eau chaude ou plus exactement d’eau bouillante. Inutilisable sous peine de graves blessures. Seule solution, remplir un seau, ajouter de l’eau froide du lavabo (qui, lui, n’a pas de robinet d’eau chaude) et verser le tout sur le corps.
Les Piche sont séduits par ce village entouré de cultures de riz en terrasses qui dessinent le relief en élégantes courbes de niveaux. De Ping An, Rose et Raoul gagnent le village de Zhuang en une heure de ballade à travers les rizières. Mêmes constructions, même beauté, mais très pauvre.
Les vieilles femmes portent gravés dans leur corps les efforts d’une vie de travail de la terre : le dos bloqué à 90º, elles marchent, pliées en deux, dans leurs vêtements noirs, le regard fixé vers le sol.
- Regarde un peu comment elle va devenir à cause de toi, la vieille dame à laquelle tu as donné ta valise à porter ! Lance Raoul, cynique, à Rose.
Rose se tait. Au jour du départ, la même porteuse est à la porte de l’hôtel pour prendre à nouveau le bagage. Elle est accompagnée d’autre femme qui demande le sien à Raoul.
- Alors, Mossieur le moraliste, lance Rose à Raoul. Tu vas lui refuser les 10 yuans qui lui permettront de vivre trois jours sous prétexte que cela lui évitera des problèmes de dos, plus tard ? A son tour, Raoul reste muet, place lui-même son sac sur le dos de la femme et entame la descente le corps allégé mais l’esprit alourdi.
PS “Mieux vaut essuyer la larme du paysan que d’obtenir cent sourires du ministre”, proverbe chinois.