Un glacier qui claque, craque, crie et crépite
El Calafate, 30 janvier 2005
La falaise de glace bleutée se dresse, verticale, à 60 mètres au dessus de la surface du lac sur un front de cinq kilomètres.
Du jamais vu pour les Piche, sidérés.
Soudain, des claquements secs, comme si des chasseurs traquaient du gibier dans les gigantesques indentations de cette mer figée qui s’étend sur 30 km. Puis, des bruits sourds mais puissants comme lorsqu’un wagon en heurte un autre dans une gare de triage. Le silence, durant deux minutes, rompu par un grondement de tonnerre qui roule à n’en plus finir.
“Oh! là, regarde, ça s’écroule “.
Raoul n’a pas le temps de finir sa phrase qu’un pan entier de glace s’effondre dans un fracas qui déchire l’air.
Les vagues formées par les tonnes de glace qui plongent dans le lac sont elles mêmes sonores et ne s’apaisent qu’après plusieurs minutes. Le glacier Perito Moreno sur le lac Argentino, en Patagonie, est vivant et bien vivant.
Le spectacle est total : la vue, l’ouïe et le toucher sont sollicités (le vent glacé porte lui aussi l’empreinte du glacier).
S’il claque, craque, crie et crépite c’est que le Perito Moreno subit d’énormes pressions. En avançant de 2 mètres par an, il bloque une rivière qui pousse, pousse, pousse et finit par briser l’obstacle.
En mars 2004 des dizaines de milliers de tonnes de glace se sont effondrés d’un seul coup dans un invraisemblable fracas devant des centaines de personnes.
Dans les jours qui précédaient la visite du glacier, les Piche se délectaient d’un autre panorama grandiose, celui du parc national Torres del Paine en Patagonie Chilienne.
Là, les falaises de glace sont remplacées par des aiguilles de granite aux bords acérés qui se projettent à plus de 2500 mètres de haut et par des montagnes enneigées couvertes de glaciers. Comme si cela ne suffisait pas, la nature a placé au pied de ces massifs des lacs couleur de jade, une végétation presque verdoyante et au dessus des têtes un ciel tourmenté où le bleu azur le dispute au blanc pur des nuages qui défilent.
Six heures de marche dans ce décor n’ont pas suffi à rassasier les Piche. Raoul prenait dix fois le même cliché persuadé n’avoir jamais eu “cette lumière là”, “cet angle de vue” espérant vainement mettre en boîte toute ces beautés.
En se dirigeant vers l’autobus de retour, Rose se prit à philosopher:
-Jamais le plus créatif des artistes ne pourra réaliser une oeuvre aussi grandiose, aussi complexe dans ses formes que subtile dans ses nuances.
- Un homme sans doute, lâche Raoul, mais un être supérieur…
- Va te faire voir avec ton être supérieur.
Fin de la minute de philosophie.