Dormir dans un frigo à 3475 mètres d’altitude
Boquete, 22 janvier 2004
- Qu’est-ce qu’il dit le thermomètre ?
- Qu’il fait 3 degrés
- Quelle impression ça te fait de dormir dans un frigo ?
- Tu plaisantes, dans un frigo il fait plus chaud et il n’y a pas de courants d’air !
Du premier clochard frigorifié, allongé à même le sol à l’abri d’une vague tôle ondulée on n’aperçoit que les yeux. Son corps disparaît complètement dans un duvet fermé, un bonnet enfoncé jusqu’aux sourcils.
Du second, dans le même attirail, on n’aperçoit rien de plus.
Il est 7 heures du matin, le jour se lève. Avec lui l’espoir d’en finir avec cette nuit d’enfer où les flammes auraient été remplacées par le gel. Cet enfer, ils l’ont cherché et l’ont trouvé, sous les tropiques, à 3475 mètres d’altitude au sommet du volcan Baru dans l’état de Chiriqui, Panama.
Rose et Raoul Piche, puisqu’il s’agit d’eux, s’étaient mis dans la tête de prendre une photo panoramique depuis ce sommet qui permet quasiment d’embrasser d’un même regard l’océan Pacifique et la mer Caraïbe distants d’une cinquantaine de kilomètres chacun. Pour cela, ils ont franchi en six heures d’une montée très raide, les 1450 mètres de dénivelé (”près de 5 tours Eiffel d’affilées” précise Raoul) et les 14 km qui les séparaient de l’entrée du parc national du volcan Baru de son point culminant.
Ce chemin, ils l’ont parcouru aussi lentement qu’ils l’ont pu afin de ne jamais s’essouffler. Un exercice dans lequel les Piche excellent. Dans les passages les plus pentus, leurs foulées ressemblent à celles des alpinistes sur les champs de neige à très haute altitude. Chaque pas est réfléchi, décomposé, interminable. La technique est efficace pour le souffle et les jambes mais sans effet pour les épaules sollicitées par des sacs à dos trop lourdement chargés d’eau, de nourriture, de vêtements et d’accessoires trop nombreux.
Parvenus au sommet, Rose et Raoul considèrent le paysage qui s’offre à eux sans passion : des nuages à la place du Pacifique, de la brume sur l’Atlantique et une forêt d’antennes.
Raoul gagné par un fort mal de tête accompagné de nausées n’a qu’une envie, trouver l’abri qui leur a été indiqué pour la nuit et s’allonger.
Mais l’abri n’existe pas, où plus exactement, il se limite à une sommaire installation du genre abri pour sans-abri.
Rose étale sur le sol une bâche en plastique, dispose un gros caillou pour la retenir, étale les duvets. Le camp est prêt. Le soleil baisse, la température avec. Les Piche s’équipent de pied en cap : cinq paires de chaussettes, six sous-pull-chemises-polaires-pulls-anorack pour lui, un peu moins pour elle. Les bonnets vissés sur la tête, ils s’engoncent dans leurs duvets.
La nuit s’annonce longue et glaciale.
Elle le sera.
D’autant que Rose est à son tour atteinte par un violent mal de tête irréductible aux médicaments.
“Mal d’altitude”, pensent les Piche.
Ils dorment peu et les douze heures de nuit tropicale leur paraissent interminables dans ce frigo qui leur tape sur la tête. Au petit matin, le mal s’estompe. Il n’empêche, Rose et Raoul n’ont désormais que mépris pour cette maudite photo qu’ils ne prendront jamais.
Leur volonté est tendue vers un seul objectif : fuir vers le bas, rejoindre la douceur printanière de la vallée de Boquete.
Quatre heures de marche leur suffisent pour cela.
Si on leur avait dit qu’un jour ils apprécieraient une banale douche chaude et un non moins banal lit, comme un des grands bonheurs de la vie tropicale, ils se seraient gaussés. Pourtant, c’est ce paradis là qu’ils ont savouré de retour à leur hôtel.
Preuve que lorsque le marteau cesse de taper sur la tête le bonheur est au bout du manche.