Raoul se trompe de route, une vraie chance !
Parce qu’ils se sont trompés de route, les Piche et leur amies Giselle et Chantal ont fait la rencontre la plus improbable de leur périple en Louisiane.
Il faut savoir que Giselle a reçu pour mission de la part de son petit-fils de lui ramener une plaque d’immatriculation de voiture louisianaise. Impossible d’en trouver. Pire, dans une casse automobile on a appris que cela était infaisable car lorsqu’un véhicule est retiré de la circulation, la plaque doit être rendue aux autorités.
Arrêt des recherches donc. Jusqu’au jour où, Raoul, qui vient de s’engager par erreur sur une petite route, tombe en arrêt face à un hangar rempli d’un fatras d’objets anciens, plutôt techniques. Il se gare, va voir, et très vite il remarque trois plaques d’immatriculation de Louisiane posées là, comme abandonnées, sur la couche supérieure de l’amas qui est devant lui.
Il appelle. Personne. Un homme âgé tond la pelouse de l’église voisine, juché sur un tracteur antédiluvien. Raoul lui fait signe. L’homme immobilise sa machine, en descend lentement, contourne paisiblement l’engin puis farfouille dans le moteur pour l’arrêter et finit par se tourner vers Raoul qui explique leur recherche.
L’homme qui a compris la requête se met alors à parler d’un flot de paroles continu, rythmé, clair, impossible à interrompre. Il parlera ainsi durant près d’une heure ! Racontant sa vie de collectionneur, sa vie tout court et sa rencontre avec un autre collectionneur d’un genre un peu spécial. Ce dernier avait accumulé des dizaines de milliers de plaques d’immatriculation qu’il lui a cédées pour une bouchée de pain. L’homme qui fait face à Raoul et Giselle, il s’appelle Ronald, a poursuivi et enrichi cette collection.
Les deux voyageurs font face au plus grand collectionneur de plaques d’immatriculation des Etats-Unis !
Elles sont toutes là, dans une grange derrière le hangar. Ronald, les y conduit et pour cela ils traversent deux autres grands hangars dont le contenu est à couper le souffle. Une véritable caverne d’Alibaba. Ronald collectionne bien plus que les plaques d’immatriculation ! Ce sont des milliers d’objets techniques du début du siècle passé jusqu’aux années 60 qui sont accumulés là : pompes à essence avec tubes de verre, cabine téléphoniques en bois, juke box, machines à sous mécaniques, distributeurs de Coca Cola, calculatrices de caisse, premiers moteurs hors-bord, disques vinyle par milliers, panneaux publicitaires, balances, maquettes d’avions etc. etc.
Alors que Raoul contemple un amas d’objets (tous ne sont pas aussi gros que ceux de la liste précédente), Chantal attire son attention.
- Tu as vu ce qu’il y a sous ce que tu regardes ?
- Non.
- Oh ! Oui. Une voiture !
Une Buick des années 50 disparaît sous la montagne d’objets posés sur elle !
Ronald ne vend rien. Ce n’est pas un brocanteur, il ferait fortune, c’est un collectionneur.
- J’ai 76 ans, ma pension de facteur me suffit pour vivre.
Les Piche ébahis continuent leurs découvertes tout en écoutant Ronald raconter sa vie. S’il ne vend pas, en revanche il loue des objets rares, en très bon état, à des équipes de production de films. Il en récupère aussi auprès d’elles, telles ces gigantesques oriflammes nazis qui pendent des poutres supérieures de la grange jusqu’au sol.
A plusieurs reprises Raoul tente de revenir aux plaques aperçues sous le hangar d’entrée. Ronald est-il prêt à les céder ? Celui-ci esquive sans cesse. Le petit groupe finit par se diriger petit à petit vers l’extérieur. Las, là, les attendent deux superbes pick-up Chevrolet des années 50 en parfait état de marche. La preuve, Ronald met le contact, tout en parlant, et l’engin revit dans le ronflement puissant de ses huit cylindres.
- Nous devons y aller, déclare Raoul pour mettre fin à cette visite, certes extraordinaire, mais qui est en voie d’occuper leur journée.
Pas à pas, le groupe opère un retrait stratégique en s’acheminant progressivement vers leur voiture à proximité des trois plaques d’immatriculation aperçues à leur arrivée. Giselle s’en saisi et fait une ultime tentative. En réponse, Ronald raconte l’histoire de ces plaques ! Il connaît par cœur chacun des milliers d’objets qu’il a entassés au fil des ans. Et puis, finalement …
- Tenez prenez les.
- Combien nous vous devons ?
- Rien. Rien du tout. J’ai été très heureux de votre visite.
Les Piche, Giselle et Chantal réalisent que, pendant une heure, ils ont rompu la solitude de cet homme. Une solitude qui lui pèse tant depuis que sa femme est décédée deux ans auparavant. Elle qu’il n’a cessé d’évoquer lors de son long monologue.
Et tout cela parce que Raoul s’est trompé de route.