Bizarreries néo-zélandaises
- C’est le premier quartier de lune, remarque Rose.
- Non, le dernier, répond Raoul. Regarde, si on ajoute une barre verticale au croissant de lune cela forme la lettre “d” de “dernier”
- Oui, mais ici on a la tête en bas.
- …?
- Mets la tête à l’envers, les cheveux vers le sol, comme si tu étais aux antipodes, c’est-à-dire en France. La barre ajoutée au croissant forme le “p” de “premier”.
- Exact, reconnaît Raoul.
Pour les Piche, la Nouvelle-Zélande est pleine de petites bizarreries comme celle-là et d’autres.
La température monte lorsqu’on va vers le nord, baisse vers le sud. À midi le soleil indique le nord, pas le sud. Tout ferme à 17 heures. Après, c’est ville-morte. Avec quelques rares exceptions, notamment dans les deux seules “vraies” villes du pays Wellington (la capitale) et Auckland. À Havelock, petite bourgade du sud, le boulanger affiche ainsi ses horaires : “ouverture 8 heures, jusqu’à ce qu’on ait tout vendu”. À Rotorua une boutique indique sur sa devanture : fermé dimanche, lundi, mardi, mercredi “ouverture flottante”.
Autre bizarrerie relevée par les Piche, le goût de la viande d’agneau. Quasi aucun ! Alors que des dizaines de millions d’agneaux paissent en liberté sur des prairies immenses. Mystère. En revanche, les moules à coquilles vertes grandes comme la main sont tellement délicieuses que les Piche s’en sont littéralement gavé.
Les musées et les lieux “historiques” sont innombrables. Le moindre hameau possède le sien : musée des ex-mineurs d’or, des Hollandais, de la bière, des bûcherons, des engins agricoles, etc. Ce qui fait dire à Raoul que moins les pays ont d’histoire, ou si peu, plus ils éprouvent le besoin d’en affirmer une. Pas étonnant que les meilleurs musées soient ceux consacrés à l’histoire et à la culture Maori qui existent, elles, depuis de nombreux siècles. Cela ne procure pas pour autant une place privilégiée aux Maoris dans la société néo-zélandaise, pour employer une litote…
Après avoir parcouru 5000 km, les Piche ont acquis une conviction, la beauté de la Nouvelle-Zélande c’est l’île du sud, peu peuplée mais offrant un spectacle de la nature hors du commun. Bon, en disant cela, ils crachent un peu dans la soupe car ces derniers jours ils ont vu, au nord, une région avec de multiples manifestations volaniques tels que des mares bouillonnantes aux eaux acides de la plus infernale chimie naturelle aux couleurs vert fluo, vert pomme, rouge, blanche, grise perdues au milieu de vapeurs soufrées, d’effondrement de cratères, de failles et d’accidents de terrain qui révèlent toute la force du magma gargouillant sous nos pieds. Toujours au nord, les Piche ont aussi vu des gorges si étroites qu’elles propulsent un torrent d’eau bleu-vert au débit incroyable de 11000 m3 à la minute (une piscine olympique remplie en 11secondes).
Enfin, est-ce à classer au rang des bizarreries, les gens sont chaleureux, souriants, serviables. À l’image de cette employée de la ligne de ferry Bluebridge qui consacre du temps à renseigner les Piche sur la compagnie concurrente, la sienne ne pouvant répondre à leur attente.
L’épopée néo-zélandaise se termine, non sans un changement au score.
Sur le parking du dernier supermarché fréquenté par les Piche, Rose après avoir vidé son caddie ne lui prête plus attention et celui-ci dévalle gentiment la pente au risque de percuter ce qu’il trouvera sur son chemin. Un homme crie pour alerter Rose qui se précipite et reprend le contrôle.
Raoul, goguenard, lui lance “30/15″.
L’idiot.
Deux jours plus tard, dans la parc Cornwall d’Auckland, sur une petite allée, Raoul effectue une marche arrière malencontreuse et emboutit une voiture venue se placer derrière lui.
Rose, éclate de rire et hilare, lui lance “30/30″