Le Brésil n’est pas le paradis
10 mars 2016Opéra de Sâo Paulo, la foule en habits de soirée descend le grand escalier pour papoter un peu dans le grand hall après le spectacle.
- Combien tu vois de métis ou de noirs ? Demande Raoul à Rose.
- Heu, ben… Si là-bas, il y a une jeune femme métis. Autrement, ils sont tous blancs.
Les Piche traversent le boulevard en face de l’opéra. Là, au pied de la longue vitrine d’un grand magasin une quizaine de sans abris sont allongés sur des cartons. Comme à de nombreux endroits dans la ville.
- Combien tu vois de blancs parmi eux ? Demande Rose à Raoul.
- Heu, ben… Ah ! Si, il y a un blanc, répond Raoul.
A 50 mètres de distance, tout semble dit sur le niveau d’inégalité dans ce pays.
Certes, les Piche ne sont pas en voyage d’étude socio-économique au Brésil, néanmoins ils ont des yeux pour voir. Ils voient que dans les hôtels, le personnel de service le plus subalterne est toujours métis, que les gardiens des immeubles défendus par mille protections dans les quartiers riches sont toujours des métis, qu’à la télévision, sur O Globo la chaine la plus regardée, les journalistes sont tous blancs (”non, non corrige Rose, la présentatrice de la météo est métis”, exact), que sur la chaîne parlementaire les Piche n’ont vu débattre que des hommes blancs et très peu de femmes. Il faut savoir que sur les 204 millions de personnes qui peuplent le Brésil 43,1% sont métis, 7,6% noirs, 47,7 % blancs. il y a donc un peu moins de blancs que de métis et de noirs.
Les observations superficielles de Rose et de Raoul sont confortées par leurs lectures (leurs yeux leur servent aussi à cela ). Ils apprennent ainsi qu’au Brésil les 1% les plus riches gagnent 100 fois ce que gagnent les 10% les plus pauvres, que la tranche maxi de l’impôt sur le revenu est de 27% (40% en France), qu’il n’y a pas d’impôt sur les revenus financiers des personnes physiques, quasiment pas sur l’héritage, etc. Ce qui fait dire à certains que le Brésil est une sorte de paradis fiscal…
Directeur d’étude à l’institut de recherche économique appliquée (IPEA) de Brasilia, André Calixte explique les origines de ces inégalités : “Après l’abolition de l’esclavage, en 1888, le Brésil n’a pas eu de véritable réforme agraire. On a fossilisé les inégalités de richesses qui sont aussi des inégalités de genre et de race”. Du Piketty pur jus.
Certes Lula da Silva a sorti 25 millions de personnes de la misère mais depuis deux ans la situation s’est gravement détériorée. L’inflation est à 11%, le chômage en forte hausse, le PIB en chute de 3,5 % sans compter la crise politique qui agite le pays avec les scandales de corruption qui font les choux gras des journaux TV de O globo tous les soirs. Il n’est même pas certain que la présidente, Dilma Rouseff, puisse terminer son mandat.
Bref, le Brésil va très mal et même les PIche s’en rendent compte !
Déjà à Paraty, ils avaient été frappés de constater que les hélicoptères des riches de Sâo Paulo venus passer le week end dans ce petit paradis en bord de mer, rentraient un peu plus tôt en ville (Sâo Paulo compte 300 héliports contre “seulement” 60 à New York). Ah ! Ma bonne dame, il y a bien de la misère dans ce pays.
Lorsqu’ils voient ce qu’ils voient, qu’ils entendent ce qu’ils entendent, qu’ils lisent ce qu’ils lisent, les Piche sont bien contents d’être venus ici depuis un pays à la pointe du progrès social, de la lutte contre les inégalités et en croissance économique.
Il s’agit bien sûr de l’Uruguay d’où ils ont franchi la frontière vers le Brésil.
Honni soit qui mal y pense…
A bientôt