Train d’enfer
19 mars 2012Train d’enfer
Pour rallier Mandalay, ancienne capitale de la Birmanie, à Rangoon, capitale actuelle, les Piche et leurs amis Chantal et Patrice avaient le choix : bus, train ou avion. Ils ont opté pour le train. Mauvaise pioche.
Dès 5h30 du matin ils sont sur le quai et cherchent leur voiture parmi les « upper class » (première). De l’extérieur elle ressemble à une sorte d’autorail. A l’intérieur, c’est le choc. Les sièges sont larges mais complètement déglingués, leur tissu a vu tant de passagers se frotter à lui qu’il n’a plus de teinte quant au dossier il est recouvert d’une sorte de maillot de footballeur brésilien, d’après match, vert et jaune. Le sol n’a pas senti la caresse d’une serpillière depuis la construction du wagon et les fenêtres laissent passer une lumière tamisée par la crasse.
Dans un moment d’optimisme, Raoul extrait une tablette incluse dans l’accoudoir de son siège (upper class, vous dis-je). Il la renfourne aussitôt en découvrant une surface poisseuse verdâtre genre papier tue mouche sur laquelle est collée une tonne de poussière et autres reliefs de repas.
Il n’empêche à 6h pile le train s’ébranle et pour les Piche c’est bien l’essentiel.
Une fois quittés les faubourgs de Rangoon, la vitesse de croisière de 50Km/h est atteinte. Puis, progressivement le train commence à se balancer d’un bord sur l’autre. Le mouvement s’amplifie jusqu’à atteindre l’amplitude du roulis sur un bateau, Raoul qui sait qu’un train n’a pas de quille se demande s’il ne va pas quitter les rails tant le balancement est fort. Mais non, cette agitation cesse jusqu-à ce qu’une autre, plus terrible, la remplace. Au roulis succède un mouvement de bas en haut d’une telle ampleur que la marche dans les allées est impossible. Les bras et le buste des passagers sont agités de gestes verticaux irrépressibles. Tout le wagon est atteint de Parkinson aiguë, y compris les seins des femmes ! (ce qui est rare avec cette maladie).
Ce pompage vertical donne l’impression que le wagon va sauter hors des rails pour se retrouver sur le ballast. Là encore, miracle, le phénomène cesse mais ce n’est que provisoire il reprend de façon intermittente et toujours aussi inquiétante, tout au long du trajet jusqu’à Mandalay. Lorsque Chantal, qui se dirige vers les toilettes, s’immobilise et se cramponne aux sièges parce qu’une violente séance de pompage vertical recommence, Rose éclate de rire. Devant le regard interrogatif de Raoul elle dit :
- Je l’imagine dans les wc avec ces mouvements !
Mission impossible.
Il arrive que le train ni ne pompe ni ne se balance. Alors les vendeurs ambulants passent et repassent en hurlant pour annoncer leur commerce et surmonter le vacarme ambiant, portes et fenêtres grandement ouvertes pour un peu de fraîcheur laissant entrer le grondement des boogies . Passent et repassent également dans l’allée centrale et sous les sièges de mignonnes petites souris. Enfin, c’est Raoul qui les trouve gentilles, Rose n’a pas la même opinion.
Ce qui devait arriver arriva. Au cours d’une séance de pompage plus forte que les autres un bruit extrême retentit et le train s’immobilise en pleine nuit, en rase campagne. Des lumières s’agitent sous les wagons, les mécaniciens tapent ici et là, au bout d’une demi-heure le train repart. Il reprend sa folle allure de 50 Km/h quand bing, nouveau pompage violent, bruit violent, arrêt.
Il faudra pas moins de 18 heures à ce manège forain pour finalement arriver à destination. 600 kilomètres parcourus à 33 Km/h de moyenne, mieux qu’un vélo.
A Mandalay, les Piche rencontrent une touriste italienne qui a pris ce train un jour après eux. Le visage encore halluciné elle commente son expérience ainsi :
- Après un tel voyage, je n’ai pas besoin de check up. Je sais que mon coeur tient bon.
Et d’ajouter :
- Si on a un ennemi, il faut absolument lui recommander ce voyage.