Une symphonie de couleurs et la misère aussi

16 mars 2004

Chichicastenango, 16 mars 2004

Le visage sculpté de rides profondes qui semblent avoir mille ans, une clairière de cheveux gris, un regard blanc perdu dans le vide, des bras décharnés, la vieille femme indienne est assise à même le sol.

Posés devant ses pieds de corne, nus et crevassés, six morceaux de résineux.

Tout son commerce.

Une foule qui l’ignore défile au-dessus d’elle, les chalands du marché de Totonicapan se pressent vers des éventaires plus colorés, plus riches, plus séduisants que le sien.

Elle est l’exception que le regard oublie, tant il est absorbé par l’infinie variété des couleurs et des objets pour lesquels on vient ici.

La couleur est avant tout celle des vêtements des indiennes.

Jupes tissées, corsages aux motifs brodés ou crochetés alliant harmonieusement une large palette de coloris où dominent tantôt le bleu et vert, tantôt le rouge et jaune, tantôt le noir, le blanc et le rose lorsque ce ne sont pas des tons fluos surprenants.

Acheteuses ou commerçantes sont nombreuses à porter un bébé enveloppé dans une couverture bigarrée très serrée sur leur dos. Le petit être est totalement invisible au regard lorsqu’il est juste né. Sa tête dépasse lorsqu’il a quelques mois.

Le portrait serait charmant si ces femmes n’étaient pas si souvent précédées par deux, trois ou quatre gamins dont la taille forme une éloquente pyramide des âges.

Aux yeux de Rose, le pittoresque ne dissimule pas la vie pitoyable de ces femmes au sourire si rare qu’elles ne transmettent même pas ça à leurs enfants.

- Comment veux-tu qu’un enfant sourie si sa mère ne lui sourit jamais, fait remarquer Rose à Raoul en déplorant l’absence d’expression de nombre d’entre eux.

Les marchés Guatémaltèques de Chichi (Chichicastenango), de Toto (Totonicapan), de Solola ou de Zunil sont autant d’arcs en ciel de tissus, de végétaux ou d’objets peints à l’apparence joyeuse.

A l’apparence seulement.

“Est-ce parce qu’il est si coloré que le spectacle d’une certaine pauvreté paraît magnifique aux yeux de ceux qui possèdent tout?” s’interroge Raoul.

Il est vrai que sur ces marchés, les yeux se portent à chaque instant sur de véritables tableaux vivants.

Sans trouver la réponse à son interrogation, Raoul tente de saisir quelques visages, aussi discrètement que possible.

Une dame âgée tenant un éventaire d’épices et de plantes naturelles, une jeune femme enceinte crochetant sur son stand de tissus ainsi qu’un vieux monsieur édenté vendant des vêtements sur le trottoir ont par deux fois gâtés Raoul-photographe.

La première lorsqu’ils ont accepté d’être photographiés.

La seconde en gratifiant Raoul d’un sourire de ravissement lorsque le “photographe” leur a remis un tirage papier de cette prise de vue.

Ils pensaient recevoir un cadeau alors que c’étaient eux qui en faisaient un.

Dernières étapes des Piche : Quezaltenango, Totonicapan, Zunil, San Cristobal de las Casas, San Juan Chamula

Etapes probables à venir : Cañon del Sumidero, Palenque, Agua Azul

La traversée de tous les risques ?

6 mars 2004

Livingstone, 6 mars 2004

Assis par rang de quatre sur leurs banquettes, les passagers de la barque qui doit les conduire de Punta Gorda (Belize) à Puerto Barrios (Guatemala) attendent impatiemment le départ.

Le vent est soutenu et la mer agitée. Le “capitaine” daigne enfin lancer les moteurs.

Chaque banquette est dotée d’une bâche bleue que les passagers placent négligemment sur leurs genoux pour se protéger des embruns.

Le bateau quitte le quai.

Sous la poussée des trois hors-bord de 115 cv (!!!), l’étrave se dresse et instantanément des paquets de mer sautent à la figure des voyageurs qui comprennent mieux la raison d’être de cette bâche bleue. Ils la hissent de leurs genoux à leur poitrine avant de s’en recouvrir entièrement et de disparaître sous elle.

Presque tous passeront ainsi une heure sous leur abri, secoués par le choc sec de la coque contre les vagues.

Les Piche, eux, gardent la tête hors de cette protection et se font rincer copieusement.

Rose rit aux éclats comme si elle était sur un manège de la foire du Trône.

Raoul est confiant. La barque, en fibre de verre, d’environ sept mètres de long est d’une rigidité et d’une robustesse à toute épreuve. Les trois moteurs paraissent sortir du magasin.

Son inquiétude aurait pu venir d’ailleurs. Du quai d’Orsay.

- Ah! bon, vous allez à Livingston? Vous savez que d’après le site du ministère des affaires étrangères la traversée est dangereuse? Des bateaux sont attaqués en mer, déclaraient quelques jours plus tôt des Français fraîchement débarqués au Belize, semant l’inquiétude dans la famille Piche.

Pour lever le doute, Raoul a successivement interrogé la police et la douane de Punta Gorda.

Les deux ont reconnu un “incident” deux ans plus tôt et rien depuis, alors que tous les jours de nombreuses embarcations effectuent la traversée sans problème.

Celle des Piche n’en a été qu’une de plus.

Mais une fois encore, Rose et Raoul ont été confrontés à la question de l’insécurité, de l’information la concernant, de son niveau réel et de la façon d’y répondre.

Un sujet qui mérite plus de développement.

A suivre, donc.

Dernières villes visitées par les Piche: Antigua Guatemala, Panajachel, Solola, Santiago de Atlilan, San Pedro la Laguna, San Antonio Palopa, Chichicastenango

Etapes probables à venir:

Xela (Quatzeltenango), Totonicapan, San Christobal de las Casas

Du sable, des cocotiers, la mer turquoise… un îlot de paradis

29 février 2004

Ile de Tobacco Caye, 29 février 2004

- Oh! Regarde, c’est notre île.

- Où ça ?

- Là, en pleine page, sur la brochure de Mooring’s, le loueur de voiliers.

« Sur les 160 miles de barrière de corail, d’îles et d’atolls du Belize, c’est elle qu’ils ont choisie pour séduire les clients », déclare Raoul à Rose.

L’île dont Raoul s’attribue un peu vite la propriété, semble tout droit sortie d’une BD.

Presque ronde, on embrasse aisément d’un seul regard ses 200 m de diamètre et sa houppette de cocotiers. Totalement couverte de sable blanc avec, ici et là, des pontons de bois qui avancent sur la mer et des bungalows rustiques pour l’hébergement.

Tobacco Cay est ancrée à une cinquantaine de mètres seulement derrière l’immense barrière de corail du Belize à 30 miles de la côte. Autour d’elle, la couleur de la mer offre toutes les nuances habituelles des eaux tropicales : vert turquoise sur les fonds de sable, vert bouteille sur les fonds d’algues, marron clair sur les hauts-fonds de coraux, bleu intense au dessus des grandes profondeurs.

Une palette dont la banalité sous ces latitudes n’ôte rien à l’extrême beauté. Sur cet îlot, les Piche partagent leur temps entre l’apnée, la lecture-lézard, les rencontres, les parties de volley-ball et la sieste. Un rythme intense.

Les habitants majoritairement Garifunas, descendants des noirs de Jamaïque, sont conformes à leur réputation : pas stressés, surtout pas stressés, accueillants, affables avec les étrangers, fiers de leur singularité et de leur histoire, forts en gueule entre eux.

Dans leur langue qui ressemble à de l’anglais chantant (à l’oreille, aussi différent de l’anglais que le brésilien l’est du portugais), Raoul capte une itération de “fuck’n… qqch”, presque aussi élevée que “con” en Toulousain courant. Rose prend ça pour un clin d’oeil au grand Nougaro dont elle apprend le décès ici.

Sous l’eau, les poissons sont un peu Garifunesques.

Ils se laissent aisément approcher.

Les barracudas évoluent paresseusement près du bord en petits groupes. Il faut presque les toucher pour qu’ils s’éloignent mollement. Les raies tachetées avec leur impressionnante queue d’un mètre et demie sont aussi paisibles, bien que plus mobiles.

Dans les fonds coralliens, Raoul débusque un gros mérou. Un superbe spécimen. L’image même de la force tranquille avec son regard sévère, son énorme gueule, sa nage assurée et puissante. Lui ne se laisse pas approcher. Jamais Raoul n’en a rencontré d’aussi grand sous les tropiques. Celui-ci lui rappelle le “Jojo”de Cousteau et un autre “Jojo” corse classé secret de famille.

En voyant les voiliers venir mouiller sous le vent de Tobacco Cay, Raoul se laisse aller à faire une suggestion à Rose.

- Tu ne nous verrais pas naviguer par ici? C’est super!

- Oui, c’est super et tu y es ici ! Alors pourquoi se taper des milliers de milles en mer pour aller là où on est déjà?

Face à une logique aussi implacable, Raoul ne sait rien opposer. Alors, il porte son regard au loin sur un voilier qui progresse plein travers sur une mer à l’abri des vagues. Et il continue de rêver…

PS Etapes probables à venir : Panajachel alias Gringotemango (lac Atitlan), Quetzaltemango

Jungle et singes hurleurs, un cadre idéal pour la cité Maya de Tikal

26 février 2004

Tikal, 26 février

Depuis vingt minutes Rose et Raoul Piche marchent, seuls, le long d’une allée taillée dans la forêt tropicale. Dans la jungle comme le disent les gens du cru.

Au détour d’un virage, au loin, ils aperçoivent un mur de pierres qui s’élève au-dessus de la végétation. Comme s’ils en étaient les découvreurs, les Piche voient émerger là un des temples de Tikal.

Tikal, probablement le plus fabuleux site Maya d’Amérique centrale. Tikal est extraordinaire car il se situe au coeur de l’immense forêt du Petèn pratiquement inhabitée sur des centaines de kilomètres carrés. Celle-ci enserre chaque vestige et il faut parcourir une dizaine de kilomètres à pied au milieu de la végétation peuplée de singes hurleurs et d’une multitude d’oiseaux aussi sonores pour voir les nombreux temples, tombeaux, forums, habitations qui forment Tikal.

Très différents les uns des autres, ces édifices se présentent chacun dans leur écrin de nature : celui-ci couvert de mousse semble être lui-même un végétal, celui-là mêle ses pierres taillées aux racines des arbres qui se dressent sur lui, cet autre totalement enveloppé dans une haute futaie ne se révèle que lorsqu’on accède à son sommet par un méchant escalier de bois à 50 m du sol, ceux-là, enfin, sont paisiblement disposés sous le couvert d’une clairière proprette.

Une boussole n’est pas inutile pour se retrouver parmi les chemins qui sillonnent Tikal. Raoul, muni de cet instrument, l’utilise pour vérifier l’orientation plein ouest d’une grande pyramide.

- Il manque trois degrés ! Mais, bon, c’est pas mal pour des sauvages.

- A part que tu vises le nord magnétique et qu’eux déterminaient le nord vrai à partir des astres. Avec la déclinaison, il n’y a donc certainement aucune erreur, lui rétorque Rose. Sauvage toi-même.

Escaladant les marches du forum, grimpant en haut des pyramides, déambulant dans le labyrinthe des habitations allant d’un complexe à un autre, les Piche passent sept heures inoubliables à découvrir Tikal.

De l’avis des personnes qui ont visité les autres grands sites Maya, Tikal serait le plus exceptionnel.

Non que ceux du Mexique ne soient pas magnifiques, voire spectaculaires, mais il semble qu’aucun n’ait été préservé dans un tel cadre et ne bénéficie d’une fréquentation aussi modeste.

Découvrir ces beautés sans horde de touristes ajoute incontestablement au plaisir. Les Piche qui comptent bien en visiter d’autres sont cependant un peu déçus de savoir qu’ils ne retrouveront pas un lieu qui marie de façon aussi remarquable la nature et les vestiges d’une civilisation disparue.

En attendant, ils partent s’ébattre sur la côte Caraïbe du Belize. Vous avez marché. Eh! bien nagez maintenant.

En voyage on rencontre toutes sortes de voyageurs

25 février 2004

Copan, 25 février 2004

Au Panama, la route des Piche a croisé celle de “Jade”, un voilier sur lequel naviguent Béatrice, François, Laure (6ans) et Loïc (8ans). Ils sont partis de France voilà trois ans et ils n’ont pas l’intention d’arrêter de sitôt (salut “Jade”!).

Chez les navigateurs, l’unité de temps est l’année.

Pour eux, un “petit” voyage dure un ou deux ans. La “norme” est de plusieurs années, sans limite. Ainsi,  à Colon, Rose et Raoul ont rencontré Robert et Béatrice en route depuis 8 ans et ils n’oublient pas Guy et Viviane à bord de “Nuage” depuis plus de 20 ans (salut “Nuage”!).

Pour la première fois, la route des Piche a croisé celle de voyageurs au long cours en camping car. Luc, Corinne, Marion (7 ans) et Thibault (8ans) après avoir quitté Dole ont parcouru les Etats-Unis et l’Amérique centrale et s’apprêtent à entamer le tour de l’Amérique du sud avant de sauter sur le continent asiatique. Un voyage de plusieurs années qui s’apparente à ceux des navigateurs (pour les suivre : http:\\ccarautourdumonde.free.fr). (Salut à vous quatre!).

Les Piche ont aperçu d’autres camping car américain, canadien et allemand aux trajets séduisants mais moins ambitieux. Ils se limitent en général aux continents nord et latino américains pour quelques mois.

Les voyageurs les plus physiques sont les cyclistes.

Les Piche en ont vu partout. Non qu’ils soient si nombreux mais aucun relief, aucun revêtement de route, aucun pays ne les rebute. Ils propulsent leurs vélos lourdement chargés de sacoches sous les soleils les plus crus, le long des routes les plus improbables. De tous les voyageurs ce sont eux qui reçoivent le meilleur accueil. Des frères de souffrance des populations locales ?

Rose et Raoul se souviennent de ce couple de canadiens rencontré à Bangkok qui arrivait de Hanoi après avoir traversé le Vietnam, le Cambodge et une partie de la Thaïlande.

Et que dire de l’ami de toujours, l’infatigable Jo, parti en son temps avec Christine pour rejoindre le Népal depuis Paris ! (salut Jo et Kiki!).

Les cyclistes voyagent en général de quelques mois à un an… et ne recommencent JAMAIS!

Courageux également, bien que moins physiques, les motards voyageant au long cours forment une espèce peu répandue. Ce matin, à Copan, au Honduras, les Piche en ont croisé trois, originaires de Suisse, sur deux BMW et une Triumph. Partis de la Terre de feu, au sud de l’Argentine, ils voyagent 4 à 6 semaines chaque année en remontant vers l’Alaska. Ils laissent leurs motos en cours de route et les retrouvent l’année suivante.

Un mode de voyage rare et singulier, exclusivement germanique, est le bus-hotel (également décliné dans une version camion-hôtel).

Ces engins  spécialement conçus, super équipés, reçoivent 15 à 20 personnes en pension complète !! Celui que les Piche ont vu au Honduras effectuait une “croisière” d’un mois de Mexico à Mexico en passant par le Belize, le Guatemala et le Honduras (pour les curieux : www.rotel.de).

Reste la grande masse des voyageurs à pied. Ceux qui utilisent les services des tour-opérateurs se déplacent exclusivement en groupe, parfois en troupeau, pour peu de temps (une à deux semaines) et beaucoup d’argent, avec des moyens de transports qui leur sont exclusivement réservés. Ils suivent un programme strictement défini à l’avance.

A l’inverse, les voyageurs individuels n’emploient que des moyens de transport locaux et adaptent  sans cesse leurs trajets.

Ils font volontiers leur, le précepte selon lequel “un voyageur ne se soucie pas de l’heure d’arrivée et n’a pas de programme arrêté”. La plupart sont sur la route pour plusieurs semaines, souvent plusieurs mois mais rarement plus d’une année (sauf à s’appeler Sophie, Chloé, Pierre ou Thierry… salut à vous tous!).

Beaucoup de voyageurs individuels sont des récidivistes qui, à force d’accumuler les périples au fil des ans connaissent presque la planète entière (salut à Martine, Etienne, Bruno, Sandrine, Keith, Dao et tous les autres !!).

Les voyageurs qui se déplacent dans des pays lointains pour leur travail forment une catégorie à part. Les Piche les rencontrent peu. Ils grappillent ici et là un jour ou deux, exceptionnellement une courte semaine pour découvrir rapidement un bout du pays dans lequel ils se trouvent et qui n’est le plus souvent qu’une extension de leur bureau.

Quant aux enfants, ils n’empêchent jamais ceux qui ont la fibre du voyage de céder à la tentation.

Rose et Raoul ont vu des parents qui voyageaient avec des bébés ou de jeunes enfants dans tout type de transports locaux (bus, trains, bateaux…) aussi bien qu’à vélo, en voilier ou en camping car.

Enfin, reste la multitude de ceux qui voyagent dans leur tête.

Ce sont souvent les mêmes que ceux qui viennent d’être d’énumérés… avant qu’ils n’achètent leur bicyclette, leur sac à dos, leur voilier, etc.

Vous cherchez l’adresse d’un fournisseur ?

La laideur de Tegucigalpa, la beauté de Copan

19 février 2004

Tegucigalpa, 19 février 2004

- Plus laid que Tegucigalpa, capitale du Honduras, tu meurs.

- Ou alors tu te trouves à Managua ou à Guatemala Ciudad.

Rarement les Piche ont visité ville plus dépourvue de séduction que la cité Hondurienne.

C’est lorsqu’ils font défaut que l’on mesure à quel point l’architecture et l’urbanisme sont nécessaires pour créer un lieu de vie…vivable. Les rues étroites du coeur de Tegucigalpa ne suffisent pas à donner du charme à ce quartier où l’alignement de maisons sans la moindre originalité transpire l’ennui. Les épais barreaux qui, à l’intérieur des boutiques, protègent vendeurs et marchandise transforment la laideur en malaise.

Alors, une étape pour rien?

Non. Souvent dans les endroits les moins excitants, les voyages réservent d’excellents moments! Une fois de plus, les Piche en font l’expérience.

Dans cette triste capitale ils ont dégusté les meilleurs mets depuis le début de leur voyage (conseillés par l’Alliance française) et rencontré Bruno et Sandrine, un jeune couple de voyageurs passionnés, passionnants, gais, simples. Une vraie joie de vivre. Ils travaillent très dur six mois par an dans leur restaurant de Vallon Pont d’Arc et voyagent deux à trois mois chaque hiver.

Enfin, le hasard de leurs pas a conduit Rose et Raoul à un étonnant musée des télécommunications dont il n’existe pas d’équivalent en Europe !

L’architecture, les Piche l’ont trouvée dans des villages alentours ainsi qu’à Santa Rosa de Copan.

A Copan Ruinas, ils débutent la découverte des sites Maya.

Du Honduras au Mexique, Copan est unique par ses sculptures.

A Copan, il n’est quasiment pas de surface de pierre qui ne soit sculptée. Le chef d’oeuvre du lieu étant un imposant escalier conduisant au sommet d’une pyramide dont chacune des marches est finement ciselée sur toute sa largeur (près de 5 mètres). Outre les inévitables pyramides, Copan comprend un remarquable “stade” (jeu de pelote) situé au coeur des vestiges d’une ville qui s’étendait sur 25 Km2.

Peu de distance sépare Copan de Tegucigalpa en terme de kilomètres. Une immensité en terme de beauté. En terme de civilisation…?

PS. Dernières villes visitées par les Piche : Tegucigalpa, Valle de Angeles, Santa Lucia, Santa Rosa de Copan, Copan, Chiquimula, Florès, Tikal, Dangriga, Tobacco Cays, Placencia.

Etapes probables à venir : Punta Gorda, Livingston, Rio Dulce, Antigua Guatemala

“C’est un fils de pute, mais au moins c’est le nôtre!”

12 février 2004

Leon, 12 février 2004

- Viva el Fronte Sandinista de Liberacion Nacional !

- VIVA !

- Viva la revolucion !

- VIVA !

- Vive Sandino !

- VIVE !

Les Piche, assis, on ne sait par quel hasard, parmi les officiels de cette réunion électorale du Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN) de Leon au Nicaragua, ne perdent pas une miette des discours enflammés et des chants passionnés qui animent la rencontre.

Tout, à Leon, rappelle que l’on se trouve au berceau du mouvement qui s’est toujours opposé aux dictateurs Nicaraguayens.

Ernesto Sandino est un héros dont l’aura est à l’égale de celle du Che.

La lutte la plus longue et la plus féroce a opposé les Sandinistes à la lignée des Somoza dictateurs de père en fils qui ont mis le pays en coupe réglée jusqu’à s’approprier 30% des terres avec la bénédiction des Etats-Unis.

De Somoza père, Roosevelt disait “c’est un fils de pute, mais au moins c’est le nôtre!”. De la haute politique que l’on n’a pas oublié à Leon surtout après que Ronald Reagan ait passé une seconde couche avec les tristement fameux “contra”.

Au musée Sandiniste, un vieux combattant des années 80 rappelle tout cela aux Piche d’une voix chaleureuse, les yeux pétillants d’intelligence, en déroulant avec enthousiasme un récit clair, argumenté et émouvant. Quelle tendresse lorsqu’il parle de la vie des “campesinos”, ses frères, constamment floués par le pouvoir.

La politique est omniprésente à Leon.

Jusqu’au marchand de Coca Cola de la gare routière qui livre à Raoul son opinion sur le pouvoir en place. Le mot “corruption” est celui qui revient sans cesse. Comment en serait-il autrement au moment où le parlement du Nicaragua débat d’une amnistie couvrant les actes du précédent président Arnoldo Aleman (ex-maire de la capitale…) condamné à 30 ans de prison pour avoir détourné 28 millions de dollars? Même la presse s’offusque de cette “Ignoble amnistie”.

Le Nicaragua est le premier pays d’Amérique centrale où les Piche rencontrent des gens qui engagent spontanément la conversation avec curiosité et gentillesse.

Ah! Ce pêcheur de l’île d’Ometepe sur le lac Nicaragua qui parle avec chaleur de son île : “nous avons, des poissons, des fruits, des légumes, de l’eau douce … et nous n’avons jamais connu la guerre. Les gens venaient se réfugier ici. Il n’y a pas eu de combat”. En guise d’au revoir un “merci de nous rendre visite!” qui va droit au coeur des Piche.

Dans les autobus, les femmes parlent facilement à Rose. Dans les commerces les dialogues sont parfois surprenants, comme à la Banco Central de Rivas lorsque Raoul demande à changer 200 dollars.

- Nous prenons 5% de commission

- C’est beaucoup

- Il y a une autre banque qui n’en prend pas. C’est la Bancentro. A 200 mètres sur la gauche en sortant, à côté du supermarché Pali.

- Ah! Bon. Ben, merci et au revoir

- A votre service !

Pourtant, en dépit de l’indéniable chaleur humaine des Nicaraguayens, le Nicaragua demeure un pays de misère et de violence.

Des organismes s’efforcent de réduire la violence familiale, très répandue, dont sont victimes les femmes et les enfants (garçons et filles). Une campagne sur le thème “un verre de lait par jour et par enfant” donne la mesure du déficit alimentaire des jeunes.

Quant aux zones franches (les maquilas) qui fleurissent ici et là, elles sont avant tout des zones de non droit. Le salaire n’y atteint pas un dollar par jour mais elles permettent aux hommes politiques qui ont favorisé leur implantation de se prévaloir de la création d’emplois.

Si l’assassinat de Carlos Guadamuz, journaliste, ex-responsable Sandiniste, intervenu le lendemain de l’arrivée des Piche au Nicaragua (totalement innocentés) est une exception dans la sphère politique, il témoigne néanmoins de la violence latente dans le pays.

Les Piche ont fini par quitter Leon, avec regret, quasiment pour des raisons climatiques. Lorsque la température atteint 37ºC à l’ombre, 40ºC dans les autobus et qu’à 33ºC l’air leur paraît frais, Rose et Raoul se disent qu’il est temps d’aller voir plus haut et plus vivifiant. A Matagalpa, dans la forêt noire par exemple.

Des bus sous protection divine, enfin presque…

9 février 2004

Rivas, 9 février 2004

Le recyclage des “school-bus” jaunes qui peuplent les productions hollywoodiennes est général en Amérique centrale. Ils y vivent une seconde vie infiniment plus palpitante que la première. Devenus bus de liaisons entre villes, ils se transforment en flèches volant au ras du bitume.

Vu de l’intérieur le spectacle peut impressionner les âmes sensibles.

Pour se rendre à Rivas première ville du Nicaragua après la frontière du Costa Rica, les Piche empruntent un de ces engins.

Assis juste derrière le conducteur, ils peuvent apprécier le spectacle dans toute son ampleur. Des autocollants bariolés habillent l’espace autour du pare brise. Il y en a pour “Jesus”, “Victoria” (la bière nationale), “Pepsi”, le reggae et bien d’autres dieux encore dont un, apparemment, est concerné par la sécurité routière. Il assure le gros du travail.

Dès que le jeune chauffeur prend place au volant, il tire trois fois sur une chaînette, ce qui déclenche trois rugissements d’un puissant klaxon à dépression.

Les trois coups.

Le spectacle commence.

Le démarreur lancé, le moteur rugit, une foule de gens monte aussitôt, un jeune homme s’assied à l’extérieur sur l’aile avant droite. Le chauffeur branche la sono, on s’attend à la chevauchée des Walkirye comme dans Platoon mais non, ce sont des chants romantiques enamourés qui envahissent l’habitacle.

Le bus s’ébranle, avance lentement de quelques mètres puis s’arrête.

Des passagers descendent, d’autres montent.

Nouvelle avancée de quelques mètres, nouvel arrêt, klaxons.

A côté de Rose une femme se signe. Comment interpréter ce geste? En Inde, elle avait vu le chauffeur prier avant de prendre la route, ici ce sont les passagers qui en appellent à la protection divine. “Des deux, quel est le plus mauvais augure”, s’interroge Rose.

Le bus avance encore un peu, le chauffeur agite discrètement les doigts à l’attention d’une jeune fille qui lui sourit. Klaxons pour la belle. Regards complices. Raoul constate que le chauffeur a les yeux rouges comme s’il venait de nager 25 m sous l’eau dans une piscine chlorée.

Rose pense plutôt qu’il a fumé la moitié de la pampa avant de prendre son service. Toujours est-il que ce jeune homme est gai et décontracté au possible. La piscine ça détend. Nouveaux tours de roues, l’occupant de l’aile avant saute en route. Par la portière restée ouverte des jeunes gens se penchent à l’extérieur en criant “Rivas, Rivas, Rivas” pour attirer d’autres passagers.

Seconde, troisième… le bus prend enfin son envol.

Après trois kilomètres, il s’arrête.

Un taxi parti peu de temps avant gît dans le fossé. Klaxon amical pour le taxiteur. Bonne pioche pour les Piche qui ont obstinément refusé tous les taxis pour ce court trajet de 35 km.

Première, seconde, troisième le bus reprend sa trajectoire de boulet de canon. Sur la Transaméricaine, une belle départementale, il croise d’énormes semi-remorques “made in USA” aussi effrayants que dans “Le convoi”.

Quelques dizaines de centimètres séparent les mastodontes allant dans un sens, du bus de ramassage scolaire des Piche allant dans le sens contraire. Un croisement que le chauffeur accomplit les bras négligemment posés sur le haut du volant, le regard au loin contemplant la ligne bleue des Vosges.

La voisine de Rose reprend les chants diffusés par la sono. Raoul se demande si elle ne continue pas de prier. Les kilomètres s’effacent sous les roues. A droite, défile l’immense lac Nicaragua agité par un vent violent.

De coups de klaxon en saluts ici et là, le bus finit par entrer dans Rivas. Il quitte la Transaméricaine pour pénétrer dans le centre ville.

Début du final.

Plus les rues deviennent étroites et encombrées, plus le chauffeur accélère en klaxonnant à tout va.

Devant le boulet jaune qui fonce, la foule saute sur les trottoirs, les tricycles-taxi se garent. Les Piche sont éberlués. Même les Indiens des Indes n’en font pas autant !

En descendant, Raoul remarque un autocollant qui lui avait échappé où est inscrit “pour votre sécurité, attachez votre ceinture” (quelle ceinture?). Il pense qu’il eut mieux valu afficher “pour votre sécurité, ne montez pas dans cet autobus”.

Les Piche jouent à cache-cache avec les volcans

6 février 2004

Liberia, 6 février 2004

Les Piche profitent de la diversité géographique du Costa Rica pour changer radicalement de paysage en un rien de temps.

Partis de San José ensoleillé, ils se retrouvent trois heures plus tard dans les nuages accrochés au volcan Poas.

Leur déception face à la mer de brume qui cache le cratère se transforme en ébahissement lorsque ceux-ci se dissipent furtivement laissant deviner un lac de cratère bleu-vert entouré de falaises lunaires avec ici et là des tâches de soufre jaune citron qui exhalent des fumerolles blanches. Comme si le spectacle était mis en scène, les nuages reviennent, dissimulant à nouveau l’ensemble pour le dévoiler ensuite en y ajoutant des rayons de soleil qui révèlent la couleur de jade des eaux du lac.

Ce jeu d’occultation et d’illumination rend ce paysage grandiose encore plus excitant à contempler.

Les Piche gagnent ensuite Liberia petite ville du Guanacaste au milieu d’une pampa desséchée.

De là, munis d’un petit 4X4, ils rejoignent le parc de Monteverde dans la cordillère de Tilaran pour une longue ballade dans la forêt tropicale humide dont ils retrouvent l’exubérance végétale. Dans l’obscurité du début de nuit, ils espèrent apercevoir les laves rougeoyantes du volcan Arenal. Mais c’est le ciel qui leur tombe sur la tête, lorsque d’énormes nuages fondent sur eux en une pluie dense.

Retour à Liberia pour gagner les plages du Pacifique aux noms de rêves : Hermosa, Coco, Flamingo, Brasilito, Tamarindo. Les luxueuses villas qui dominent la superbe baie de Flamingo font penser au début de la colonisation touristique des Baléares.

Préservé de cette invasion, le parc national de Murciélago sur la péninsule de Santa Elena est d’un abord plus difficile.

Le petit 4X4 des Piche est limite pour progresser sur la piste qui pénètre cette forêt tropicale sèche totalement différente de la forêt humide.

Moins spectaculaire, avec sa végétation courte sur patte, moins dense aussi avec cependant des arbres massifs ici et là, elle offre parfois de beaux panoramas, comme autour de cette immense baie à demie fermée, déserte, hormis une colonie de pélicans et Rose en tenue d’Eve.

Revenus à Liberia, base de leurs escapades, les Piche s’offrent une toile dans un complexe flambant neuf.

Dans la salle, ils grelottent, victimes d’un air sévèrement conditionné. Il n’est pas donné à n’importe qui d’imiter intelligemment la nature.

Des pickpockets peu farouches

5 février 2004

San Jose, 5 février 2004

D’instinct, Rose sent que dans ce quartier de San José elle doit mieux surveiller ses affaires.

A l’instant où elle décide d’amener son petit sac à dos sous son bras, elle perçoit quelque chose d’anormal, elle constate qu’une poche est ouverte. Celle qui contenait son porte monnaie.

Il n’est plus là.

Elle lève la tête et voit une jeune femme s’enfuir en courant. Rose se lance immédiatement à sa poursuite, la rattrape et l’interpelle. La femme se défend d’avoir volé quoi que ce soit. Son amie arrive et dit qu’elle a vu un gamin faire le coup.

Rose n’en croit rien.

Elle est certaine que son bien est à quelques centimètres d’elle. Mais que faire? Fouiller ? Inconcevable !

Les deux femmes repartent en marchant, manifestement mal à l’aise et cherchant ici et là des échappatoires. Rose qui a été rejointe par Raoul, largué par la soudaineté du départ de la course, ne les lâche pas d’une semelle.

- Qu’est-ce qu’on fait ?

- On les suit

- Jusqu’où ?

- Jusqu’à ce qu’on croise un policier, on en a vu plein dans le marché.

Précisément, quelques minutes plus tard les jeunes femmes entrent dans le marché.

Elles s’arrêtent devant un étal de boucher. La moins suspecte s’adresse à Rose, lui déballe le contenu de son sac pour prouver sa bonne foi. Ingénument elle en tire deux porte-monnaie. Tête de Rose!

Profitant de ce que l’attention des Piche est ainsi fixée, l’autre femme disparaît. Raoul tente de la retrouver. En vain. Pourtant, les gens dans le marché le guident, “elle est passée par là”, d’allée en allée Raoul retombe sur l’étal du boucher.

Par geste, une personne lui indique que celle qu’il cherche est derrière un pilier, là, juste à côté. En un instant tout se dénoue. Alors que Raoul qui a rejoint la femme, lui propose de garder quelques billets en échange du porte-monnaie, un policier arrive.

De la foule fuse, “elle l’a donné au boucher”. Aussitôt, le porte-monnaie sorti de derrière le comptoir, atterrit dans les mains de Rose.

La jeune femme remet discrètement à Raoul l’essentiel du contenu qu’elle avait déjà récupéré. Les Piche disent au policier que tout va bien. Fin de l’épisode.

Les deux femmes s’éloignent rapidement avec deux mille “colones” qu’elles ont conservés. Pour elles, le salaire de la misère. Pour Rose le prix de l’expérience.

Vivre un tremblement de terre, c’est remuant !

4 février 2004

San Jose, 4 février 2004

5 h 55 du matin.

Allongée sur son lit au 3ème étage du Nuevo Hotel Central, Rose Piche est réveillée par une sensation bizarre. Persuadée que Raoul secoue son lit, elle ouvre les yeux.

Mais, non, sur le lit d’à côté, Raoul la regarde, intrigué comme elle.

- Qu’est-ce que c’est ? interroge Rose

- …Raoul se tait et observe.

Pas de doute son lit bouge, comme celui de Rose.

- Un tremblement de terre !

Interloqués, les Piche regardent autour d’eux tandis que leurs lits sont gentiment secoués comme par une main amicale, les murs pareillement.

- Qu’est-ce qu’on fait ? demande Rose, nullement paniquée.

- On sort de là, lui répond Raoul,  pragmatique.

Le temps d’enfiler leurs chaussures, le monde se fige dans une rassurante immobilité. Il n’empêche, les Piche évacuent. Au rez-de-chaussée, ils interrogent le gardien :

- Vous avez senti…

- Oui, oui, un tremblement de terre, répond l’homme avec un large sourire

- Et ça arrive souvent?

- Le mois dernier il y en a eu un et deux en décembre. Il vaut mieux des petits tremblements fréquents qu’un seul qui casse tout

Certes, certes…

Cet épisode oblige à revenir sur la liste, non exhaustive, des singularités du Costa Rica établie par Raoul dans un texte précédent.

Ce pays, comme ses voisins, se trouve sur une zone de fractures où l’on ne compte pas le nombre de volcans plus ou moins actifs. Au cours des dernières décennies, San José a été couvert de cendres par les éruptions de l’Irazu, 40 km à l’ouest, du Poas, 45 Km au nord-est, sans compter les quelques dizaines de morts provoquées par celles de l’Arenal, le plus actif de tous.

Pour ce qui est de l’Arenal, Raoul Piche est rassuré car son grand frère y a installé une batterie d”appareils de mesures pour le surveiller, cela dans le cadre d’une coopération avec l’Université du Costa Rica. Raoul Piche en est très fier et il est convaincu que ce volcan là ne leur fera pas de mal. C’est scientifique.

Puisque les forces telluriques leur ont fait commencer la journée très tôt, les Piche décident de se rendre au sommet du volcan Poas, histoire de rester dans le même registre. “Au moins, si ça pète nous serons aux premières loges”.

La semaine passée ils étaient au sommet de l’Irazu à 3420 m d’altitude.

Des grimpettes qu’ils effectuent désormais en autobus en mémoire de leur nuit passée au sommet du Baru au Panama.

Et parce qu’il faut “positiver”, les Piche se rassurent en pensant qu’au Costa Rica les cyclones sont plus rares que dans les pays plus au nord. Le Nicaragua, le Honduras, le Guatemala se sera pour les semaines à venir. A chaque jour suffit sa peine.

Vous reprendrez bien une petite secousse ?

PS: Dans la presse du lendemain les Piche ont appris que l’intensité de “leur” tremblement de terre était de 5,5 sur l’échelle de Richter. Qualifié de moyen par les scientifiques. Il succédait à trois autres en décembre et janvier d’intensité voisine. Il n’a  pas fait de dégât.

Pas d’armée, donc pas de coup d’état !

30 janvier 2004

San Jose, 30 janvier 2004

“Intel Inside” pourrait être la devise du Costa Rica dont la première source de revenus à l’exportation provient ni du café, ni des bananes, ni du tourisme mais des usines Intel.

Les singularités de cette sorte, ce petit pays les accumule à loisir.

Il est le champion de la biodiversité animale et végétale. Le nombre d’espèces qui y vivent est supérieur à celles dénombrées aux Etats-Unis sur une surface égale au dixième de la France. Du coup, 27% du territoire est protégé et l’écotourisme est le maître mot des dirigeants.

Beaucoup d’oiseaux, de mammifères, de plantes donc mais pas un seul militaire. Eliminés, tous, avec la suppression de l’armée en 1948 pour mettre fin aux coups d’Etat. Avec succès depuis cette date.

La population est si blanche de peau que Rose et Raoul Piche, bien bronzés depuis leur arrivée sur ce continent, passent aisément pour des natifs du lieu. Les noirs de la côte Caraïbe, longtemps interdits de séjour ailleurs, sont restés cantonnés là bas.

Dimanche dernier, Rose et Raoul ont cru original d’aller se promener dans la vallée d’Orosi près de Cartago. A 17h ils ont découvert que tous les habitants de San José, la capitale proche, avaient eu la même idée. D’où d’interminables embouteillages de fin d’après midi comme dans la forêt de Fontainebleau. Tant de voitures dans un si petit pays?

Vivant sous l’ombre tutélaire du grand frère américain le Costa Rica en a adopté bien des travers.

Aussi, pour manger Rose et Raoul ont-ils décidé de boycotter tout ce qui ressemble à de la restauration rapide à la Mac Do.

Pas facile. Dans les deux rues les plus fréquentées de San José, ils ont successivement renoncé à Burger King, Taco Bell, Billy Boy, KFC, Hamburger Factory, Pap John’s, Church’s chicken, Spoon, Hamburger City, Pizza Hut et d’autres encore pour aller déguster un ceviche (poisson cuit au citron) dans un estaminet du marché central.

Le paradoxe, mais en est-ce vraiment un ? étant que la qualité des mets est directement proportionnelle à la pauvreté de la gargote où ils sont servis. Avec parfois, en prime, un match de foot à la télé. Comme hier soir quand le Costa Rica a écrasé la Jamaïque 3-0. Ambiance.

En Amérique centrale, Rose et Raoul sont loin des délices des cuisines Indienne, Thaï, Vietnamienne. Par chance la grippe aviaire est inconnue ici et c’est tant mieux car la protéine reine est le poulet servi partout accompagné de riz et de haricots rouges.

Autre déception pour Raoul, l’indigence de la presse (Al Dia, La Nacion, Extra (le pire!!), La Prensa Libre).

Alors que l’an passé il se régalait avec la presse indienne, vive, engagée, polémique, la presse du Costa Rica comme celle du Panama sont à un niveau qui ferait passer “Midi Libre” pour l’égal du “New York Times”.

Grand pays, grande presse? Petit pays, petite presse? Heureusement, un saut à l’Alliance française de San José a permis aux Piche de se ressourcer. Ils y ont appris la sévère condamnation d’Alain Juppé et ont frémi en songeant qu’ils avaient failli ignorer un fait de cette ampleur.

Voyager n’est pas sans risque!

Mais, ouf! cette fois encore les Piche ont évité le pire.

Forêt tropicale, mer corallienne… la beauté à portée de main

25 janvier 2004

Boca del Toro, 25 janvier 2004

Sous le cerveau, un ange.

Les cerveaux, ces pâtés de coraux arrondis aux circonvolutions encéphales offrent d’excellents abris aux poissons tropicaux. Comme ici, à la caye Zapatillo, dans le parc national maritime de l’île Bastimentos, sur la côte caraïbe du Panama. Les poissons ange, de taille exceptionnelle, voisinent avec des empereurs, des perroquets, des soleils, des soldats, des chirurgiens, des coffres, des petits mérous et des troupeaux de rougets qui broutent furieusement le fond en soulevant des nuages de sable.

A bonne distance, passent de belles caranques. Ces visions ravissent d’autant plus Rose et Raoul Piche que moins d’une heure auparavant, à deux miles de là, des dauphins complaisants s’ébattaient autour de leur bateau.

Mais le plus étonnant est qu’ils soient passés en un rien de temps d’un spectacle à un autre totalement différent.

C’est un des plaisirs des pays d’Amérique centrale que d’offrir une grande variété de paysages, voire de climat ou de population en un nombre réduit de kilomètres.

Ainsi, avant d’atteindre la faune corallienne, les Piche, partis de la ville de David, à trois heures de là, empruntaient une route de montagne qui traverse une forêt humide de toute beauté. L’extrême variété des essences d’arbres, de fougères, de fleurs, de bambous, de lianes leurs tailles et leur regroupement aussi divers que possible donnent aux collines des allures de jaillissement végétal si harmonieux qu’il paraît résulter d’une main d’artiste.

Avec l’altitude, la brume des nuages apporte à cette végétation une brumisation naturelle et au voyageur une fraîcheur bienvenue. Une fois franchie la cordillère de Talamanca, la route vers Almirante suit la lagune de Chiriqui entièrement tapie de mangrove, cette végétation qui prend racine dans l’eau salée.

Le trajet se termine à un embarcadère de bout du monde qui pourrait laisser penser aux Piche qu’ils ont changé de pays tant le lieu tranche avec tout ce qu’ils viennent de traverser en peu de temps.

De pauvres maisons en bois, sur pilotis, brûlées par le soleil, mangées par l’humidité, noyées par les pluies, toutes de guingois, plantent leurs fragiles gambettes dans l’eau saumâtre d’un étroit bras de mer. Les habitants, noirs, parlent un créole aux accents anglais qui ne laissent aucun doute : Rose et Raoul ont atteint la côte Caraïbe, sorte d’extension de la Jamaïque dont est originaire cette population.

Les déplacements s’effectuent à bord de grosses barques en fibre de verre dotées de puissants hors bord qui filent à toute allure au milieu de la mangrove et des pâtés de coraux. De temps à autre, le pilote coupe les gaz pour ne pas faire chavirer un indien qui pagaie dans une barque taillée d’une pièce dans un tronc d’arbre.

Changement de décors, à nouveau, à peine un peu plus au nord. Là, Rose et Raoul Piche franchissent la frontière du Costa Rica en marchant sur les rails d’un pont de chemin de fer comme le font indifféremment piétons, autos, camions, trains.

Ensuite, sur des dizaines de kilomètres se succèdent des bananiers avec leurs sacs bleus protégeant les régimes.

- Ce sont nos bananes, des Chiquita, celles qui sont exportées vers l’Europe et les Etats-Unis, précise Raoul qui a pris ses renseignements.

Rose, elle, détecte immédiatement que la couleur trop verte et la taille excessive de ces bananiers ne peut que résulter de l’usage massif de fertilisants. Bingo. Des bâtiments portant en gros caractères le mot “Fertlizante” hébergent des tonnes de ces produits. Ingénument, des pancartes imagées préviennent qu’il est très dangereux de pénétrer dans ces plantations pour cause d’épandage aérien de produits toxiques !

Une poignée de kilomètres encore et c’est Puerto Viejo de Talamanca où la nature retrouve sa beauté peignée de main d’homme.

Trois tours de roues de bicyclette et Rose et Raoul parviennent à Punta Uva.

Les tropiques sont loin d’être partout le paradis. Mais ici cela lui ressemble. Sur cette petite avancée dans la mer, on retrouve le même jaillissement végétal que dans la montagne avec, à ses pieds, l’eau turquoise de la Caraïbe et le sable blanc d’une large plage sur laquelle se penchent mille végétaux protégeant de la morsure du soleil. Dans le ciel glisse une escadrille en V de cormorans en vol plané.

Reprenant le créole local, à sa façon, Raoul considère ce paysage et lance à Rose :

- es pequeño america central but it’s beautifull. Pura vida !

- small and beautifull, ironise Rose, tu as trouvé ça tout seul…

Dormir dans un frigo à 3475 mètres d’altitude

22 janvier 2004

Boquete, 22 janvier 2004

- Qu’est-ce qu’il dit le thermomètre ?

- Qu’il fait 3 degrés

- Quelle impression ça te fait de dormir dans un frigo ?

- Tu plaisantes, dans un frigo il fait plus chaud et il n’y a pas de courants d’air !

Du premier clochard frigorifié, allongé à même le sol à l’abri d’une vague tôle ondulée on n’aperçoit que les yeux. Son corps disparaît complètement dans un duvet fermé, un bonnet enfoncé jusqu’aux sourcils.

Du second, dans le même attirail, on n’aperçoit rien de plus.

Il est 7 heures du matin, le jour se lève. Avec lui l’espoir d’en finir avec cette nuit d’enfer où les flammes auraient été remplacées par le gel. Cet enfer, ils l’ont cherché et l’ont trouvé, sous les tropiques, à 3475 mètres d’altitude au sommet du volcan Baru dans l’état de Chiriqui, Panama.

Rose et Raoul Piche, puisqu’il s’agit d’eux, s’étaient mis dans la tête de prendre une photo panoramique depuis ce sommet qui permet quasiment d’embrasser d’un même regard l’océan Pacifique et la mer Caraïbe distants d’une cinquantaine de kilomètres chacun. Pour cela, ils ont franchi en six heures d’une montée très raide, les 1450 mètres de dénivelé (”près de 5 tours Eiffel d’affilées” précise Raoul) et les 14 km qui les séparaient de l’entrée du parc national du volcan Baru de son point culminant.

Ce chemin, ils l’ont parcouru aussi lentement qu’ils l’ont pu afin de ne jamais s’essouffler. Un exercice dans lequel les Piche excellent. Dans les passages les plus pentus, leurs foulées ressemblent à celles des alpinistes sur les champs de neige à très haute altitude. Chaque pas est réfléchi, décomposé, interminable. La technique est efficace pour le souffle et les jambes mais sans effet pour les épaules sollicitées par des sacs à dos trop lourdement chargés d’eau, de nourriture, de vêtements et d’accessoires trop nombreux.

Parvenus au sommet, Rose et Raoul considèrent le paysage qui s’offre à eux sans passion : des nuages à la place du Pacifique, de la brume sur l’Atlantique et une forêt d’antennes.

Raoul gagné par un fort mal de tête accompagné de nausées n’a qu’une envie, trouver l’abri qui leur a été indiqué pour la nuit et s’allonger.

Mais l’abri n’existe pas, où plus exactement, il se limite à une sommaire installation du genre abri pour sans-abri.

Rose étale sur le sol une bâche en plastique, dispose un gros caillou pour la retenir, étale les duvets. Le camp est prêt. Le soleil baisse, la température avec. Les Piche s’équipent de pied en cap : cinq paires de chaussettes, six sous-pull-chemises-polaires-pulls-anorack pour lui, un peu moins pour elle. Les bonnets vissés sur la tête, ils s’engoncent dans leurs duvets.

La nuit s’annonce longue et glaciale.

Elle le sera.

D’autant que Rose est à son tour atteinte par un violent mal de tête irréductible aux médicaments.

“Mal d’altitude”, pensent les Piche.

Ils dorment peu et les douze heures de nuit tropicale leur paraissent interminables dans ce frigo qui leur tape sur la tête. Au petit matin, le mal s’estompe. Il n’empêche, Rose et Raoul n’ont désormais que mépris pour cette maudite photo qu’ils ne prendront jamais.

Leur volonté est tendue vers un seul objectif : fuir vers le bas, rejoindre la douceur printanière de la vallée de Boquete.

Quatre heures de marche leur suffisent pour cela.

Si on leur avait dit qu’un jour ils apprécieraient une banale douche chaude et un non moins banal lit, comme un des grands bonheurs de la vie tropicale, ils se seraient gaussés. Pourtant, c’est ce paradis là qu’ils ont savouré de retour à leur hôtel.

Preuve que lorsque le marteau cesse de taper sur la tête le bonheur est au bout du manche.

A Panama, rôdent les fantômes des pirates Drake, Morgan et Cie

17 janvier 2004

Panama, 17 janvier 2004

Partout où les guide leurs pas dans Panama et ses alentours Rose et Raoul Piche rencontrent l’histoire, la grande et la petite.

Dans le quartier des gratte-ciel, objets de tant de fierté de la part de Panaméens, Raoul fait observer à Rose que l’édification de ces immeubles doit plus à la poudre blanche qu’au béton. Sans oublier les impôts non payés par les firmes nord américaines qui trouvent à s’investir dans les centaines de banques créées ici à cet usage.

A l’est de ce quartier, Rose et Raoul découvrent ce qu’il reste de Panama après que le pirate Henri Morgan l’ait pillée et incendiée : un magnifique champ de ruines aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’humanité. La ville a été reconstruite 10 km à l’ouest.

Cette implantation initiale constitue désormais le quartier le plus ancien de la cité (Casco antiguo). Rose et Raoul y admirent des splendides maisons coloniales entièrement restaurées jouxtant d’autres totalement délabrées et cependant très belles.

Dans le train qui les conduit de Panama à Colon, les deux villes situées aux extrémités du canal, Rose apprend à Raoul qu’ils empruntent là le chemin que suivaient les caravanes de mules chargées de l’argent et de l’or du Pérou pour être embarqués dans les galions espagnols.

Par la grâce de sa position géographique Panama est le lieu de transit de toutes sortes de marchandises qui, tel le miel, excitent les convoitises.

Dans le quartier Casco Antiguo, Rose et Raoul découvrent un bâtiment détruit par les bombes américaines. C’était là que Manuel Noriega, le chef d’état narco-traficant panaméen, aimait à faire la fête.

Pillage, corruption, trafic, violence, l’histoire de ce petit pays est tout sauf un long fleuve tranquille.

Aussi, Rose et Raoul ne sont guère surpris lorsque, souvent, des policiers les interpellent pour leur signifier qu’ils se dirigent vers des endroits dangereux. Les fantômes de Drake, de Morgan, des sanguinaires conquérants espagnols et des trafiquants de tous poils rôdent sur la ville.

La misère aussi.

Il n’empêche, Rose et Raoul n’ont jamais été inquiétés.

Pas fous les Panaméens. Les Piche en balade c’est impressionnant.

Total respect !

Le plus grand chantier de génie civil du XX éme siècle

16 janvier 2004

Panama, 16 janvier 2004

L’énorme bateau de croisière, 200 mètres de long, des centaines de milliers de tonnes s’enfonce à vue d’oeil entre les parois de béton qui l’enserrent.

Sous les regards fascinés de Rose et de Raoul Piche, l’”Oriana” descend de près de 20 m de haut dans l’écluse de Miraflorès, la dernière du canal de Panama avant le Pacifique.

Ce spectacle Raoul en rêvait depuis toujours. Il a tant lu de récits de voyage ponctués par la traversée du fameux canal qu’il voulait absolument voir cet ouvrage mythique.

Dans une précédente vie, Rose et Raoul ont traversé le canal de Corinthe ainsi que le canal de Suez mais Panama demeure le plus exceptionnel de tous. Car celui-ci franchit une montagne et sa réalisation constitue probablement le plus grand ouvrage de génie civil du 20 ème siècle : de pauvres bougres ont excavé 152 millions de m3 de terre et de roches et 22 000 d’entre eux y ont laissé leur vie. Principalement des Martiniquais, des Guadeloupéens et des Jamaïcains décimés par la malaria et la fièvre jaune.

Le canal, Rose et Raoul ont voulu le voir sous tous les angles.

Ils ont pris le train qui suit la saignée du canal dans la montagne et qui traverse l’immense lagune artificielle à travers laquelle il chemine.

A Colon ils ont tenté d’embarquer à bord d’un voilier sur le point de transiter (sans succès mais ils n’ont pas dit leur dernier mot). Ils ont également passé des heures dans l’excellent musée du canal.

Là, ils ont été d’étonnement en étonnement.

- Raoul était persuadé que le canal datait de la fin du 19ème siècle alors qu’il aura 100 ans en 2014 seulement

- Le canal ne devait pas comporter d’écluse mais les ingénieurs se sont trompés dans leurs calculs !

- A cause du scandale financier de la Nouvelle Compagnie du canal de Panama et de sa retentissante faillite, les Français n’ont accompli que la moitié du travail. La seconde moitié l’a été par les Américains

- La visiteuse qui précédait Rose et Raoul dans le musée et qui se faisait photographier devant le buste de Ferdinand de Lesseps s’appelait…Claire de Lesseps !

Finalement, en se rendant à l’île Taboga, à 20 km au large de Panama, pour leur premier bain dans le Pacifique, les Piche ont emprunté les ultimes miles du canal avant la pleine mer. Ils sont ainsi passés sous le pont des Amériques qui relie l’Amérique du sud et l’Amérique du nord.

A cet instant Raoul a porté son regard sur Rose s’imaginant avec elle à bord d’un voilier mettant le cap sur les Marquises, lui à la barre, elle, les yeux tournés vers le large. Au même moment, Rose a pensé très fort “je plains ceux qui passent par ici et s’apprêtent à subir une traversée de 20 jours vers les Marquises”.

Et ils se sont tendrement souri, sûrs de partager la même idée à la même seconde.

¡Disfruta !

PS Pour voir en direct les écluses de Miraflores, sans avoir à parcourir 9000 Km comme les Piche, il suffit de taper “Miraflores  Webcam” sur Google qui renvoi l’adresse du site où s’affiche en temps réel la vue de la webcam installée sur cette écluse. Vue rafraîchie toutes les 10 secondes.

Des formes massivement généreuses et des vêtements moulants…

15 janvier 2004

Panama, 15 janvier 2004

- Mes ancêtres sont Italiens, Indiens, Espagnols et Colombiens. Ici, c’est le pays des mélanges, déclare fièrement le chauffeur qui conduit Rose et Raoul Piche dans les rues de Colon, ville d’entrée du canal de Panama, côté Caraïbe.

Un propos qui confirme les observations des Piche depuis qu’ils sillonnent les rues de Panama. Le mélange dont parle le chauffeur porte sur la couleur de la peau qui couvre toutes les nuances depuis le bronzé léger jusqu’au noir profond mais aussi sur les traits du visage. Les yeux, le nez, la bouche, le front, la mâchoire peuvent être empruntés à diverses origines : indienne, africaine, européenne, antillaise, comme dans un portrait robot.

Ce métissage absolu conduit à des résultats esthétiques bien supérieurs à ceux des populations qui le pratiquent moins.

D’un point de vue plus “sociologique”, il est difficile d’ignorer que Panama se trouve à des années lumières des pays musulmans. Ce que Raoul, avec sa vision réductrice du monde n’a pas manqué d’exprimer crûment, en pleine rue, à l’adresse de Rose.

- Ces culs! mais tu as vu ces culs et ces seins! incroyable on ne voit que ça!

- Tu, ne vois que ça précise Rose, tout en reconnaissant que le port généralisé de pantalons, de jupes et de corsages en tissus ultra moulant aux couleurs claires et vives puisse expliquer la poussée sanguine de Raoul.

D’autant que les formes sont massivement généreuses.

- Dire que nous sommes partis de France sur un débat à propos du voile, souligne Raoul qui clame soudain “Iran-Panama, choisis ton camp camarade!”.

Il semble avoir choisi le sien.

Non contentes d’être souvent belles et toujours bien dans leurs corps, les panaméennes sont présentes dans toutes les activités de la vie sociale. Jusqu’à la présidence du pays qui est tenue par une femme. Aussi corrompue, paraît-il que les hommes politiques autour d’elle.

Ce qui est bon signe.

Ne réalise-t-elle pas ainsi la prédiction de Françoise Giroud selon laquelle “la femme sera vraiment l’égale de l’homme, lorsque des femmes incompétentes accèderont aux plus hautes responsabilités”.

« Etes-vous impliqués dans des activités de terrorisme ? »

11 janvier 2004

Panama, 11 janvier 2004

“Oui, en somme je m’aperçois que les voyages ça sert surtout à embêter les autres une fois qu’on est revenu” a dit Sacha Guitry.

Grâce à internet il devient possible de les embêter même avant d’être revenu.

Rose et Raoul Piche ne s’en privent pas. Depuis quelques années, ils inondent de mails famille et amis durant leurs pérégrinations lointaines. En ce début 2004, ils récidivent, et, pauvres de vous, vous êtes sur leur liste!

Pour atteindre Panama, point de départ de leur périple en Amérique centrale, Rose et Raoul Piche ont dû passer par Chicago et faire escale à Miami.

Curieuse trajectoire. Les navigateurs connaissent l’orthodromie, route la plus directe d’un point à un autre sur le globe. Rose et Raoul pratiquent, eux, la tarifodromie”, route la moins chère qui s’apparente à la “zigzagodromie”, route la plus vagabonde.

Ce faisant Rose et Raoul ont eu à connaître les soucis sécuritaires des Etats-Unis. Très courtoisement les autorités américaines leur ont demandé de répondre par écrit à la question suivante “êtes-vous impliqués dans des activités d’espionnage, de sabotage, de terrorisme, de génocide (…)”. Et, délicieusement policés, mais diablement faux-culs, ils les ont prévenus, s’ils répondaient par l´affirmative, “qu’il serait possible que l’entrée aux Etats-Unis (leur) soit refusée”. Possible ?

Rose et Raoul voyageant sous une fausse identité ont décidé de mentir sur toute la ligne. Les Etatsuniens les ont laissés débarquer à Chicago enneigé, puis embarquer pour Miami printanier, avant de les laisser s’enfuir vers Panama tropicalisé.

Comme les plus forts dans la cour de récré, les Etatsuniens leur ont tout de même demandé d’enlever leurs ceintures, leurs chaussures, leurs blousons, de lever les bras, de lever les pieds, d’écarter les jambes… Puis ils leur ont rendu : vêtements, pieds, jambes.

Rose et Raoul ont alors quitté le pays le plus puissant et le plus stressé de la planète pour l’un des plus petits, certains de ne pas perdre au change.

« L’Inde vous avez aimé ? »

5 avril 2003

Suresnes, 5 avril 2003

Tôt le matin du 5 avril 2003, Raoul Piche est parti acheter trois bricoles dans la rue. Il en est revenu troublé et l’a exposé à Rose :

- Incroyable ! dehors il n’y a personne, aucun bruit, pas de klaxon, pas de deux roues, pas un tricycle, uniquement des voitures neuves, toutes immobilisées le long des voies.

- Normal, lui a répondu Rose avec son a-propos habituel, un dimanche à 8 h du matin dans les rues de Suresnes les rickshaws sont rares, les piétons aussi, quant aux voitures tu crois qu’elles sont neuves simplement parce qu’elle n’ont pas 20 ans…

- C’est vrai, ça. J’oubliais que nous n’étions plus « là-bas »

Eh ! oui, pour Rose et Raoul Piche le voyage est terminé. Ils ont parcouru 7500 km vers l’ouest et 30 degrés vers le bas sur le thermomètre, brrrr, pour se retrouver à leur point de départ d’il y a trois mois. Trois mois d’étonnement, de surprises, de découvertes, d’irritations, de déceptions, de dégout parfois, mais aussi de plaisirs, de rencontres, etc. Voyager en Inde ne laisse pas indifférent, les sentiments les plus contradictoires se mêlent. A la question rituelle « avez-vous aimé ?», la réponse n’est pas simple.« Oui » Rose et Raoul ont aimé le voyage qu’ils ont effectué mais cela ne signifie pas qu’ils ont aimé l’Inde ou plus précisément la société indienne. Mais de cela Raoul reparlera plus en détail, en prenant un peu de temps pour le faire, histoire de démêler les sentiments et les informations contradictoires qu’il ramène.

C’est à regret que nous abandonnons ce rendez-vous avec vous. Nous espérons ne pas vous avoir ennuyé et souhaitons vous retrouver très vite les uns et les autres  « de visu », « de auditu » ou par mail. Recevez nos meilleurs baisers en témoignage de notre amitié et de notre affection, Rose & Raoul

L’Himalaya en sandalettes

22 mars 2003

Pokhara, 22 mars 2003

A Pokhara (Nepal) les seuls monuments à visiter sont des montagnes. Mais quelles montagnes ! Celles du massif des Annapurna qui additionnent les sommets entre 7000 m et 8000 m sur tout l’horizon au nord de la ville.

Le seul mot de trek qui consiste à approcher ces monstres suffit à faire fuir Rose et Raoul Piche. Pour eux, trek, est synonyme de guide, de porteur, d’interminables journées de marche, de nuits glacées dans de rudimentaires refuges, de souffle court à des altitudes inhabituelles, etc. Pour Rose et Raoul, l’altitude de référence, c’est le zéro du niveau de la mer. Il leur aura fallu quelques splendides promenades autour de Pokhara (dont une de 9h et demie) et quelques conversations avec des touristes ayant treké pour comprendre leur erreur.

Les treks dans le massif de l’Annapurna ne sont rien d’autre que des balades sur des sentiers escarpés, certes, mais parfaitement identifiés qu’ailleurs on appellerait “de grande randonnée”. Ayant compris cela, Rose et Raoul décident d’entreprendre, sans guide ni porteur, un trek de cinq jours qui va les conduire à l’altitude inouïe, pour eux, de 3200 mètres, les pieds à toucher la neige.

Le départ de la marche s’effectue dans une belle vallée où coule une rivière impétueuse qu’ils traversent sur un pont suspendu. Le chemin recouvert de dalles de pierres offre une pente continue mais facile. Rose et Raoul croisent des porteurs chargés de masses invraisemblables de sacs ou de colis contenant des batteries de cuisine, des tables, d’énormes tentes, etc. Ces chargements sont tenus par une courroie qui passe sur leur front et c’est, courbés, la tête penchée vers le sol, qu’ils avancent, chaussés de tongues usées.

Peu après, Rose et Raoul croisent une cohorte de Japonais pimpants, plutôt âgés, libres de tout bagage qui marchent en ligne derrière leur guide. Plus loin, ils sont doublés par un troupeau d’ânes amenant le nécessaire dans les villages accrochés à flanc de montagne.

Groupe de marcheurs, marcheurs solitaires, porteurs, guides, ânes, villageois animeront pendant cinq jours les marches de Rose et de Raoul sans qu’ils aient, pour autant, l’impression de se trouver sur une autoroute.

On leur a dit que, tout au long des sentiers, des hameaux proposaient le gîte et le couvert. Ce qu’ils vérifient très vite. Et cela change tout. Quoi de plus facile que de marcher dans la montagne lorsqu’on sait que toutes les deux heures on trouvera à manger (plutôt bien) et de quoi dormir. Inutile donc de se charger de nourriture et de couchage.

A la fin de leur première journée, Rose et Raoul ont gagné 500 mètres d’altitude, presque sans s’en rendre compte, traversant un paysage de cultures en terrasse, de rivières et de hameaux paisibles. Le second jour est plus sérieux car il leur faut gagner 1300 m de dénivelé, dont 600 d’un seul coup, dès le début de la marche. Mais, comme partout dans ces massifs, les pentes les plus rudes sont empierrées, il “suffit” donc de monter 3280 marches de pierres pour gagner ces 600 m (soit, deux tours Eiffel, du sol au troisième étage, en 1 h 1/2). Le reste du chemin ne cesse de grimper mais avec une pente plus raisonnable.

Rose et Raoul traversent des forêts de chênes et d’éblouissants rhododendrons géants, en fleurs (des arbres de 15 à 20 mètres de haut), des hameaux, des cultures en terrasses dont la beauté fait oublier l’effort de la marche. Un effort tout relatif, car Rose et Raoul ont pris le parti, lorsque la montée est raide, de marcher le plus lentement possible. Une tactique efficace, car en dépit de l’altitude croissante ils ne sont jamais essoufflés. Raoul, qui transpire pour un rien, est en nage mais frais comme un gardon. Rose, elle, s’étonne de sa facilité à marcher.

La fin du second jour les voit perchés dans une auberge à 2800 m d’altitude. Le lendemain, à 5 h 30 du matin, ils montent vers le lieu dit Poon Hill, surnommé le balcon de l’Annapurna, à 3200 m d’altitude.

Face à Poon Hill, presque à les toucher, se dressent des sommets aux noms mythiques : Dhaulagiri (8167 m), Annapurna Sud (7220 m), Annapurna I (8091 m, celui de Herzog) Annapurna II, III, IV (7500 à 7900 m), Machapuchhre (7000 m), Nilgiri, etc. A 7 h, les nuages se dissipent et offrent à Rose et Raoul le plus beau cadeau de leur voyage : une vue dégagée sur la totalité du massif depuis le Dhaulagiri, à l’ouest, jusqu’a l’Annapurna IV, à l’est. Un spectacle unique au monde qu’ils partagent avec une cinquantaine de marcheurs matinaux venus de tous les continents.

Après avoir usé une pellicule à tenter de saisir l’insaisissable, Rose et Raoul reprennent leur route pour leur troisième jour de marche. Une journée écourtée par une pluie torrentielle dès 12 h 30. Qu’à cela ne tienne, puisque l’auberge où ils déjeunent possède des chambres, Rose et Raoul font la sieste … jusqu’au soir. La pluie cesse à 19 h. Repas, re-dodo.

Au petit matin, ils retrouvent les forêts de rhododendrons en fleur, les villages, les torrents, les villageois souriants, les porteurs, les chemins empierrés, les marches empierrées, etc. La beauté simple et préservée d’une nature grandiose. Les descentes succèdent aux montées qui précèdent de nouvelles descentes, quasiment sans alternance de terrains plats. Le cinquième jour, le retour vers la vallée de départ et sa rivière, 1000 mètres en contre-bas, offre des vues d’une ampleur saisissante.

Au fil des jours, Rose et Raoul Piche voient leur passion pour la marche dans ces lieux s’épanouir. Ils se disent prêts à revenir pour d’autres treks. Ils ont, notamment, le regard fixé sur un petit col à 5400 m d’altitude, au nord de l’Annapurna, qui ne leur paraît plus totalement inaccessible (ils attendront quand même que leurs amis Pierre et Chloé en soient revenus et leur raconte la chose). Ils se disent également décidés à convaincre les uns et les autres à se rendre un jour dans ce coin de paradis. Ils ramènent avec eux toutes les cartes et toutes les informations pour y parvenir. Ils ne vous lâcheront pas, cramponnez-vous à vos sacs à dos !

L’Inde est à l’image de sa plomberie…

10 mars 2003

Varanasi, 10 mars 2003

Est-ce d’avoir plongé les mains dans l’eau du Gange? Est-ce d’avoir caressé les sculptures érotiques des temples de Kajurao? Toujours est-il que Raoul se demande si pour comprendre l’Inde, sa complexité, ses contradictions, sa grandeur, il ne convient pas d’examiner sa plomberie. Il pense, en effet, qu’elle est le reflet en tout point de l’image de ce pays.

En Inde, il suffit parfois de tourner un robinet pour que l’eau chaude parvienne instantanément au lavabo. Mais rarement.

Parfois, l’eau arrive mais demeure obstinément froide.

Parfois, elle n’arrive pas parce qu’il faut, au préalable, ouvrir un petit robinet situé sous le lavabo.

Parfois, le robinet tourne sans fin et reste dans la main.

Parfois, le robinet fonctionne mais il n’y a plus de lavabo dessous.

Parfois, l’eau reste froide parce que le robinet d’eau chaude occupe la place du robinet d’eau froide. La présence d’une pastille rouge très voyante sur un robinet ne préjuge jamais de la fonction du dit robinet.

Parfois, les robinets sont à leurs places, ils tournent normalement, le lavabo est là lui aussi mais l’eau est coupée…à cause d’une panne d’électricité. L’écoulement du lavabo s’effectue parfois via un siphon et un tuyau encastrés dans le mur. Mais rarement.

Parfois, un tuyau en plastique part de la bonde pour arriver au ras d’une grille d’évacuation. Parfois ce tuyau s’interrompt à mis hauteur assurant le rinçage simultané des mains et des pieds de l’utilisateur.

Les robinets de douche suivent plus ou moins les mêmes lois que les robinets de lavabo mais le chauffage de l’eau offre une passionnante diversité.

Parfois, il suffit de tourner le robinet d’eau chaude pour que celle-ci s’écoule du pommeau de la douche. Mais rarement.

Parfois, il convient de mettre en route un cumulus électrique ce qui ne soulève guère de difficulté puisqu’interrupteurs et contacts dénudés sont situés à quelques centimètres seulement du pommeau. Le nombre d’électrocutés ne faisant pas la une des journaux, prouve la puissance du divin dans ce pays (ou les lacunes de la presse mais il s’agit là d’une vison étroite de l’Inde).

Parfois, il suffit de commander le chauffage d’un cumulus à bois la veille du jour prévu pour la douche. Parfois, l’eau arrive dans un baquet livré par un employé. Dans ce cas, on parle “d’eau courante”.

Mais c’est avec les toilettes que la plomberie indienne tutoie le sublime. Qui d’autres que des Indiens pouvaient réunir en un même objet un wc à l’européenne et à la turque à la fois? Shiva et Vishnou en une seule cuvette !

Par crainte de lasser, ce plongeon dans les tréfonds de la société indienne en restera là, laissant planer à tout jamais les mystères des évacuations des déjections humaines. L’Inde possède sa part de merveilleux que Raoul se voudrait de galvauder.

Le Gange fleuve sacré, sacré fleuve !

7 mars 2003

Varanasi, 7 mars 2003

Bénarès est célèbre pour ses bains purificateurs dans le Gange et pour ses crémations à l’ancienne, au feu de bois. Depuis quelques années Bénarès s’appelle Varanasi. Les guides touristiques ayant informé Rose, Raoul Piche que chaque jour “150 000 pèlerins arrivent à Varanasi” et que “près de 150 corps sont brûlés sur les bords du Gange”, les voyageurs s’attendaient à une ambiance Palavas-les-Flots, en plus mystique, mais avec les mêmes odeurs de barbecue. Ils ont été déçus.

Une première fois ils se rendent sur les escaliers (Ghats) qui descendent jusqu’au fleuve. Est-ce l’heure tardive de la matinée? Peu d’Indiens pratiquent des “pujas” (prières) avec ablutions dans le Gange. Ils y retournent une seconde fois, plus tôt, et longent la rive en barque. La fréquentation n’est pas beaucoup plus forte. Mais la vision de la courbe du fleuve bordé par des kilomètres d’escaliers dominés par des bâtisses pittoresques, parfois belles, ne manque pas de grandeur.

Pour en avoir le cœur net, Raoul se lève un matin très tôt et retourne sur les lieux au lever du soleil, moment privilégié pour les prières. Une grosse centaine d’Indiens, pas plus, se sont levés comme lui, à l’aube. La plupart sont agés. Les touristes, dans des barques passant sous leur nez, sont presque plus nombreux.

Déçu par ce manque de couleur locale, Raoul prend le parti de s’en réjouir : “finalement l’Inde bouge. Les superstitions régressent”, pense-t-il. Il ne résiste pas au plaisir de s’en entretenir avec un brahmane qui lui confirme son impression.

- C’est vrai, les jeunes préfèrent les “façons occidentales”. Et puis ils croient que le fleuve est pollué. Lui dit le vieil homme.

- Pas vous ? l’interroge Raoul.

- Je me baigne ici depuis 70 ans et je me porte très bien !

Raoul en reste coi.

Lors de leur première promenade Rose, Raoul, Etienne et Martine ont assisté à des crémations. Le “spectacle” est dur, choquant. Il incite à un certain recueillement. Néanmoins, Raoul intrigué par le volume relativement faible des bûchers et leurs dimensions insuffisantes glisse à l’oreille de Rose :

- Lorsqu’on cuit un poisson sur un feu trop étroit, que la tête et la queue dépassent des braises ce n’est pas gênant. Mais lorsqu’il s’agit des extrémités d’un être humain… je trouve que cela manque de professionnalisme.

Raoul n’a pas attendu pour voir si un intouchable “ramenait” ces extrémités sur la braise. Cela n’a guère d’importance, les “gros morceaux” non brûlés sont immergés dans le fleuve purificateur.

Mais de purificateur à pur il y a toute la distance qui sépare le mysticisme de la biologie. Elle est mesurée par le service de l’hygiène de la ville de Varanasi qui dans son analyse quotidienne de l’eau du fleuve indique à la rubrique “germes pathogènes” : “innombrables”. Une analyse que personne ne lit.

De toute façon, pour les Indiens mourir à Bénarès et y être incinérés est un bonheur car cela arrête le cycle des réincarnations. Si les “germes pathogènes” du Gange peuvent y aider, pourquoi s’en plaindraient-ils ?

Les limites de l’extrême : un voyage en bus Indien

2 mars 2003

Kajurao, 2 mars 2003

Voyager en Inde est facile. A preuve le parcours effectué par Rose et Raoul en compagnie d’Etienne et Martine depuis Kajuraho (extraordinaires temples) jusqu’à Varanasi (ex-Bénarès, célèbre pour ses bains et ses bûchers).

7 heures du matin, thé indien à la gare routière de Kajuraho.

7 h 20 les sacs à dos sont chargés sur le toit du bus.

7 h 30 sous les yeux ébahis de Raoul, le chauffeur installé derrière son volant joint ses mains, les porte à son front puis à sa poitrine et dit une prière, tel un toréador avant d’entrer dans l’arène. La partie promet d’être serrée.

Contact.

Une fumée bleue jaillit dans l’habitacle par un énorme trou autour du levier de vitesse qui laisse voir les entrailles du moteur et les tubulures d’échappement. Le bruit de formule 1 qui retentit, confirme que ces dernières sont largement percées. Dès les premiers tours de roue, les fumées sont canalisées sous la caisse de l’autobus évitant aux passagers d’être gazés.

Rose et Raoul Piche contemplent l’intérieur du bus. Un bus de tourisme standard indien. La crasse est partout en couches plus ou moins épaisses selon les endroits. Les nuances vont du gris pas trop léger au noir profond en passant par toutes les variétés de rose au marron rouge des traces de crachat de bétel en dessous des fenêtres. De multiples points d’encrage du mobilier intérieur sont dessoudés, ressoudés, voire dessoudés-ressoudés-dessoudés, offrant aux regards des amas vibrants de soudures inutiles. La vision à travers les fenêtres est difficile. Raoul crache sur une petite surface de l’une d’elles et frotte fort avec un papier pour tenter de redonner localement un peu de transparence. En quatre à cinq fois il y parvient. Rose s’interroge gravement ” Comment peut-on arriver à un tel degré de saleté ? “. Après réflexion la réponse s’impose à elle : du jour de leur mise en service ces engins n’ont jamais été lavés.

Lorsque la route est criblée de nids de poule le bus entre en vibration comme une navette spatiale avant son explosion. Mais par chance, un bus indien est plus fiable et parcourt plus de kilomètres qu’une navette. De temps à autres, les passagers sont projetés de droite et de gauche comme si la route comportait une subite courbe aussi serrée qu’inattendue. Non, la route est droite. Ces mouvements résultent d’une sèche manœuvre d’évitement des véhicules venant en face. Le chauffeur projette le véhicule sur le bas côté le temps du croisement pour le ramener tout aussi rapidement sur l’étroite bande goudronnée. Après trois heures de route, arrêt pipi, dans une gare routière. Raoul constate une nouvelle fois qu’il n’est pas utile de savoir lire l’hindi pour trouver les toilettes. Le nez suffit à guider vers le lieu convoité. Et ça repart. Les courts arrêts se multiplient dans la seconde partie du trajet pour embarquer ou débarquer des passagers plus ou moins lourdement chargés qui s’entassent dans l’allée du bus. Une femme debout, tenant un nourrisson dans les bras, le tend à Martine qui pouponne, ravie, mais inquiète de l’absence de couche du beau bébé. Les heures passent. La destination finale, Satna, sera atteinte après cinq heures de voyage. Soit 25 kilomètres à l’heure de moyenne pour effectuer 120 kilomètres. C’est tout de même beaucoup, beaucoup plus rapide qu’à pied.

A l’arrivée nos voyageurs s’entassent dans un rickshaw pour gagner la gare où ils espèrent attraper le train de Varanasi.”Les voyages en train sont bien plus confortables qu’en bus », claironne Raoul.

La suite lui prouvera que non.

Les limites de l’extrême, le voyage en train Indien

1 mars 2003

Orchha, 1 mars 2003

Rose, Raoul, Martine et Etienne ont beau scruter chaque wagon du train qui entre en gare en roulant lentement devant eux, pas une place ne semble libre. Une fois à bord, Raoul et Etienne parcourent cinq à six voitures et voient leur première impression confirmée. Le train est plein. Et lorsqu’un train indien est plein, il est plein ! Enfin non, justement, les Indiens parviennent toujours à le remplir un peu plus. Ainsi feront nos voyageurs.

Rose et Martine se voient offrir deux petits bouts de banquette. Etienne s’installe sur un sac de voyage dans le couloir de passage et Raoul sur un bidon de 50 litres de “résine synthétique Flacofix”.

Le train est à peine en route qu’un mendiant jouant d’une flûte au son de cornemuse ouvre, sous le nez de Martine, un panier en osier d’où se dresse un cobra. Martine se ratatine sur son coin de banquette, mais refuse de céder à cette “mendicité agressive”. Suit un defilé qui oblige Raoul et Etienne à s’effacer pour laisser passer successivement : les vendeurs d’omelettes, de thé, de bonbons, d’eau, de samousas, de peignes et de stylos (dans le même paquet), de pistolets d’enfants, de crécelles (grrrr!!??!!##), de cigarettes, de plats cuisinés, de montres, de cacahuètes, de salades oignons-tomates-pois-chiches, de biscuits, sans compter le monsieur qui va faire pipi, celui qui en revient et tous ceux qui passent par là on ne sait trop pourquoi.

Etienne finit par repousser quelques bagages sur une couchette supérieure pour s’asseoir là-haut, ses jambes passant au-dessus de la tête des voyageurs assis dessous. Car ce train est un train couchette qui relie deux villes indiennes éloignées, en plus de 40 heures. Les passagers “habitent” ces wagons plus qu’ils ne les occupent. Après le second passage du charmeur de serpent, Martine, Etienne et Rose se plongent dans leurs livres ce qui intrigue fort autour d’eux. Dans ce train personne ne lit. Raoul quitte son pot de résine pour parcourir le wagon. Ici une personne allongée avec une serviette de bains sur la tête occupe toute une banquette inférieure (sa couchette) tandis que quatre personnes assises se partagent celle qui lui fait face; là des enfants sont installés entre les jambes d’un père ou d’une mère; ailleurs des musulmans barbus coiffés de leur calotte discutent; une famille de 23 personnes dont 8 enfants occupent un compartiment de 6 couchettes avec bagages et réserves d’eau. La plupart des gens sont correctement vêtus, voire un peu endimanchés pour ce long voyage. Valises, sacs de jute, sacs de toile, malles en fer blanc sont partout : dans le couloir, dans les espaces entre les sièges, sous les sièges, sur les couchettes supérieures, dans les intervalles entre les wagons, etc. A la moindre gare, le train marque un arrêt de près de dix minutes. Souvent il stoppe en pleine voie. A chaque fois, Raoul saute sur le quai ou sur le balast comme nombre de passagers indiens. Puis, lorsque le train redémarre, il retourne sur son pot de résine “Flacofix”. Le bébé de la voisine de banquette de Rose commençant à pleurnicher sa mère soulève son sari et lui donne très discrètement le sein. Les bébés indiens ne pleurent jamais très longtemps, chaque fois les mères répondent par le même geste.

Nouvel arrêt. Raoul quitte son pot, saute à terre et se dit que décidément ce train passe plus de temps immobile qu’en route. Nouveau départ. Cette fois-ci, Raoul reste en compagnie de deux Indiens assis face à la porte grande ouverte du wagon, les jambes sur les marches. Dans ses instants de bravoure, le train ne dépasse jamais 80 km/h, ce qui le rend plutôt confortable. Arrêt de près d’une heure dans la grande ville d’Allahabad. La nuit tombe. Les arrêts suivants s’effectuent dans des gares rendues obscures faute d’électricité. Dans le train, les passagers se préparent pour la nuit et soulèvent les dossiers des banquettes  pour les transformer en couchettes. L’espace vital se réduit considérablement pour les passagers assis “sans réservation”.

Neuf heures après avoir quitté Satna à 140 km de là, les faubourgs d’une grande ville approchent. L’allure se ralentit progressivement et finalement tel un cétacé épuisé l’immense train s’échoue le long du quai de Varanasi. Il n’aura fallu que 16 heures à Rose et Raoul Piche pour parcourir en bus puis en train en compagnie d’Etienne et Martine, les 240 km qui séparent Khajuraho de Varanasi, soit 15km/h de moyenne.

- On aurait pu le faire à bicyclette, lance Rose, goguenarde.

- Avec les sacs à dos, à bicyclette ? Tu y as pensé aux sacs à dos ? lui répond Raoul.

- Et les collines après Khajuraho, tu y as pensé aux collines ? lui dit Etienne.

Rose qui ne se voit pas pédaler dans les collines “après Khajuraho” avec son sac sur le dos s’avoue vaincue et reconnaît que les bus et les trains indiens “s’ils n’existaient pas il faudrait les inventer.”

Couper les mains pour lutter contre la concurrence

25 février 2003

Agra, 25 février 2003

Il est des lieux tellement photographiés, filmés, reproduits en image sous tous les angles que l’on craint d’être deçu lorsqu’on s’apprête à les voir “pour de vrai”.

En se dirigeant vers le Taj Mahal avec leurs amis Etienne et Martine, Rose et Raoul éprouvaient cette crainte. Mais non, le Taj Mahal ne deçoit pas. La beauté du lieu est saisissante, l’harmonie du bâtiment, les nuances colorées du marbre dont il est constitué, l’immense allée qui y conduit, la fine marquetterie qui l’orne confinent à la perfection.

Un chef d’œuvre pour l’amour d’une femme.

Car le Taj MAhal a été voulu par un empereur éperdument amoureux de sa femme afin qu’elle y repose après sa mort en couche (la 14 ème à l’âge de 35 ans…). Pour être sur d’obtenir de son architecte le mausolé digne de sa tendre, l’empereur a eu recours à une technique de management incitatif novatrice : il a fait mettre à mort la fiancée de l’architecte pour que celui-ci ressente ce qu’est la perte d’un être aimé et se trouve dans les dispositions ad hoc pour créer l’œuvre attendue. Cela a très très bien marché. Et, comme à cette époque la clause de non concurrence n’existait pas, les artisans du chantier ont eu les doigts ou les mains coupés pour qu’ils n’aillent pas produire une merveille semblable ailleurs.

Mais le sang sèche très vite sur les oeuvres d’art. Quelques moussons suffisent à parfaire le nettoyage. Alors, il ne reste plus que la beauté à l’état pur, dégagée de sa gangue historique et du misérable destin de ceux qui l’ont fait naître.

C’est Mozart qu’on assassine

23 février 2003

23 février 2003

Sur la banquette du train brinquebalant, huit passagers se font face dont Rose et Raoul.

Un bébé complètement emmitouflé a été glissé sous le siège par sa mère. Les personnes assises écartent les pieds pour ne pas “shooter” dans le petit corps. Deux femmes sont couchées dans l’allée qui sépare les deux côtés du wagon. Trois autres sont installées à même le sol dans le passage entre les portières, derrière la banquette. Elles voyagent ensemble, sans homme à leurs côtés, et paraissent emporter tout ce qu’elles possèdent : des ballots de vêtements, des bassines, rien. L’une d’elle profite de la fenêtre ouverte où se tient Raoul pour faire flotter à l’extérieur un sari afin de le sécher.

Pendant cette opération qui dure, sa fillette d’une dizaine d’années, debout dans l’allée, habillée de haillons, regarde en direction de Rose. Son regard luit d’intelligence, elle sourit légèrement avec un petit rictus en coin.

Elle est magnifique.

Lorsque Rose lui offre un bonbon, elle refuse dans un vigoureux geste de dénégation de la tête accompagné d’un sourire franc, généreux qu’illumine ses yeux qui redoublent de vivacité. Sa réaction totalement inattendue, empreinte d’une grande dignité la rend encore plus belle.

Rose et Raoul échangent trois mots par lesquels ils confirment une pensée identique. Cette fillette ressemble étonnement à celle d’amis très proches lorsqu’elle avait le même âge. Même sourire, même plissement des yeux, même regard vif et intelligent, même port fier. L’une est Indienne, l’autre Française et bien qu’aussi richement dotées par la nature l’une que l’autre, leur destin n’aura rien de commun.

La Française, aujourd’hui âgée de 26 ans, a parcouru le monde, cultivée, diplômée, elle débute une vie de femme ouverte à tous les devenir.

A 26 ans la fillette indienne devenue femme effectuera probablement un voyage dans un train, son bébé emmailloté posé sous la banquette, elle séchant son sari à la fenêtre ouverte du wagon. Rien de sa vivacité, de son intelligence, de sa fierté, de sa beauté n’aura été nourri par des parents ou des maîtres instruits. Son pays se privera d’elle comme il se prive de milliers de ses semblables.

Assis sur son siège Raoul contemple la fillette en se demandant si, plus que les mendiants, plus que les infirmes, plus que les immondices qui jonchent les rues ce ne sont pas ces superbes enfants à l’avenir sacrifié qui marquent le sous-développement d’une nation.

Projection Bollywodienne dans le plus beau cinéma du monde

10 février 2003

Jaipur, 10 février 2003

Hier soir Rose et Raoul Piche ont été au cinéma. L’événement serait banal s’ils ne s’étaient rendus au Raj Mandir de Jaipur, un cinéma unique en Inde autant dire au monde. Tellement prisé qu’il faut réserver ses places à l’avance. Le Raj Mandir comporte un immense hall d’accueil qui fait office de foyer comme dans un theâtre. Lorsqu’on entre, ses innombrables moulures alliées aux couleurs pastel des murs et du plafond donnent l’impression de pénétrer à l’intérieur d’un choux à la crème. Lorsque l’on accède à la salle de projection à proprement parler c’est dans la partie chantilly du gâteau que l’on se trouve avec ses volutes de stuc comme autant de couches de crème immaculée.

Le film du jour, “Kushi”, comporte les ingrédients immuables du film Boliwoodien version 2003, à savoir :

Un robuste scénario en trois temps :

-1) Deux jeunes indiens, aussi peu colorés que possible, voient leur amour éclore à l’université où ils étudient l’informatique (dbase III, visual basic…)

-2) Cet amour contrarie le mariage arrangé par le riche papa de la jeune fille (un papa très présent, la maman, elle, est occupée ailleurs, on ne la voit guère)

-3) Final : l’amour triomphe.

- Des seconds rôles et des développements parmi lesquels figurent immanquablement :

-> les amis de l’université (avec le rigolo de la bande)

-> les riches parents du jeune homme, le papa surtout (la maman pleure tout le temps)

-> quelques méchants mafieux dont le jeune homme triomphe en un combat héroïque en présence de la jeune fille, subjuguée.

des décors de rêve : villa et appartement du luxe le plus achevé, voitures du même métal, ordinateurs partout, quartiers résidentiels aussi aseptisés que ceux de Lausanne, bref l’Inde au quotidien. Mais l’essentiel du film indien sont les scènes de chants et de danses. Elles illustrent le moment où l’un des deux héros rêve ou se projette en imagination, ce qui autorise des chorégraphies “débridées” ou romantiques sur fond de splendides paysages européens ou américains. Dans “Kushi”, 2003 oblige, la musique traditionnelle a été remplacée par du hip hop indianisé pour les scènes “hard” et par des sirops de violon pour les scènes “soft”. Le tout servi par la sono exceptionnelle du Raj Mandir. Réflexion de Raoul au sortir de la projection: “on regarde “Kushi”, on ferme les yeux, on imagine exactement l’inverse et on a une idée de l’Inde actuelle.”

Sacrés rats de Karni Mata !

10 février 2003

Bikaner, 10 février 2003

Raoul a dû un peu forcer Rose pour qu’elle se rende au temple Karni Mata de Deshnok dans le Rajasthan. Il n’a pas compris pourquoi cette réticence. Rose s’est accoutumée à côtoyer les vaches sacrées et elle aime bien les animaux, alors pourquoi pas Karni Mata ? Parce qu’on y vénère des milliers de rats grassement nourris qui courent entre les pieds des fidèles et des visiteurs ? Raoul a du mal à le croire. Dans ce temple les rats sont partout : la moindre arabesque de fer forgé en porte un, la plus petite anfractuosité en abrite d’autres, ils sont cinquante à laper avec frénésie dans une énorme écuelle de lait et autant dans le saint des saints à s’empiffrer des sucreries offertes par les fidèles. Les divinités sillonnent les cours du temple dans tous les sens, en silence. Des blessures sanguinolentes aux pattes et à la tête témoignent que, parfois, les rats sacrés ne se considèrent pas comme tels entre eux. Rose n’a pas eu la chance qu’une divinité marche sur ses pieds ce qui aurait été un heureux présage. Quant à lui faire ingérer une miette de nourriture préalablement mâchée par un des occupants du temple, ce qui est, parait-il, l’assurance d’une protection divine à toute épreuve, Raoul n’a même pas osé le lui proposer.

La visite de Karni Mata a ravi Raoul, qui voulait savoir jusqu’à quelle hauteur la sacralisation, la dévotion et la quête du suprême pouvaient s’élever. Il tient la réponse : à l’infini!

Zique à couper le souffle à la mosquée

9 février 2003

Nagaur, 9 février

Le spectacle en plein air a déjà commencé lorsque Rose, Raoul, et leurs amis Chloé et Pierre s’assoient discrètement par terre, parmi la foule. Une minute ne s’est pas écoulée qu’on les prie de venir s’installer au pied de la scène, devant tout le monde, aux places d’honneur. Coussins, draps blancs, les chaussures ôtées, la petite troupe prend ses aises. Las, on leur fait comprendre qu’ils sont affalés sur les places du maire et des autorités mais qu’ils peuvent s’asseoir juste un rang en arrière. Si fait. Un peu de chants mais beaucoup de sketches en hindi décident Rose et Raoul à s’éclipser sans discrétion.

Le lendemain le spectacle a lieu dans une mosquée vieille de trois cents ans au nord de la ville. “Cette fois-ci pas question de se laisser piéger aux premières loges, lance Chloé, on reste une petite heure et on s’en va”. Jeux de lumière, décorations, cadre superbe, les quatre compères progressent avec précaution dans l’enceinte au sol de marbre, ponctué de mini-tombes de la taille de boites à chaussures qui constituent autant d’obstacles douloureux pour les pieds nus. Accueillis avec trop de chaleur par le maître des lieux, Raoul tente l’esquive “nous allons revenir pour le début du spectacle mais en attendant nous sortons pour manger un peu”. Juste ce qu’il ne fallait pas dire : en un éclair, un lunch improvisé leur est offert avec moult égards et infinie sollicitude dans une petite pièce ceinte de coussins et de draps blancs tendus sur de minces matelas posés à même le sol. Une visite particulière de la mosquée s’en suit puis l’installation au premier rang des spectateurs à proximité de personnages dont l’importance est inscrite dans la raideur de leur posture et l’impassibilité de leur visage. Des processions de fidèles venant de temps à autres déposer à leurs pieds des billets de banque ne laisse aucun doute sur leur statut. Et le concert de chant et de musique commence. Epoustouflant. La puissance des voix, le rythme, l’enthousiasme de la foule aux crescendo des percussions saisissent Rose, Raoul et leurs amis. Les morceaux de quinze à vingt minutes s’enchaînent sans répit ni temps mort, couvrant le brouhaha des spectateurs. Plus question de s’éclipser en dépit de l’inconfort de la position en tailleur. Minuit passe, la formation qui transporte l’auditoire achève sa prestation. Chloé et Pierre suivis par Rose et Raoul s’empressent auprès des musiciens pour savoir où acheter un CD de leur musique. Une foule de jeunes garçons s’agglutine autour d’eux, de plus en plus dense comme si les divas étaient les occidentaux ou plus précisément les occidentales et non les artistes. Cachée dans la foule, une main subreptice pince les fesses de Chloé, plus tard ce seront celles de Rose. Des divas vous dis-je !

L’art d’acheter un chameau

8 février 2003

Nagaur, 8 février

Sur la crête d’un monticule de terre qui domine le désert, les trois chameaux avancent de leur pas de sénateur. Seules les clochettes que l’un d’eux porte autour du cou rompt le silence. Rose mène la marche devant Raoul lui-même suivi par Yves, un ami de rencontre.

Raoul, habituellement réticent à se trouver sur le dos d’un animal apprécie le confort du chameau, le calme extrême de sa marche et la facilité avec laquelle il se laisse guider. Il est vrai que les rennes sont directement reliés à un piercing placé dans ses naseaux. A chaque pas les pattes se posent sur le sol en s’affaissant comme des coussins d’huile. A l’inverse des chevaux et des éléphants, rien ne les distrait de leur marche paisible. La position haute du cavalier procure une vue qui porte loin et donne le sentiment de dominer le désert. Raoul est prêt à parcourir des kilomètres ainsi. Mais lorsqu’à une halte il descend et reste figé, les jambes tenues écartées par un tiraillement douloureux des articulations des hanches, son enthousiasme faiblit.

Il n’empêche, l’animal lui plait, aussi se rend-il avec Rose et deux amis à Nagaur, à 200 kilomètres de là, où se tient une foire aux chameaux.

Des centaines y sont à vendre au plus offrant. Raoul négocie comme un vieux maquignon. Les prix d’attaque partent à 15000 roupies (300 euros) et descendent jusqu’à 8000 roupies (environ 150 euros) pour un mâle en pleine forme. Dans la même ville, une petite moto coûte 6 fois plus cher.

Alors qu’il discute, assis comme un pacha sous une vaste tente, avec des « collègues » indiens acheteurs en gros (ils sont preneurs de 40 chameaux), Raoul assiste à une scène subite et violente : un chameau décoche un coup de patte foudroyant à un militaire qui se trouvait près de lui, le projetant au sol deux mètres plus loin. Nullement surpris, les « collègues » acheteurs expliquent à Raoul que les chameaux frappent et mordent sans prévenir. Enfin presque, car lorsqu’ils sont grognons ils vomissent une sorte de poche de viande baveuse et violacée qui pendouille de leur bouche comme s’ils allaient se retourner comme une chaussette. Le charme est rompu.

Les chameaux proposés ont beau être apprêtés, avoir les yeux faits au « eye liner », des boucles d’oreilles fines, des colliers et le poil tondu en dessins géométriques du plus bel effet, Raoul est gagné par la méfiance. Le chameau comme le cheval ou l’éléphant a un cerveau et des humeurs. Et en plus il est chameau.

En fin de journée Raoul retourne au stand des motos. Il y a là une petite Suzuki custom parfaitement stupide qui lui plait bien.