Le pont de la rivière Kwaï et l’échafaudage infernal
30 janvier 2002Kanchanaburi, 30 janvier 2002.
A chaque fraction de tour de roue de la locomotive, les échafaudages de bastaings grinçaient, couinaient et gémissaient sous les tonnes d’acier qu’ils maintenaient à trente mètres de hauteur. Le train progressait plus lentement qu’un homme au pas, comme si tout allait s’écrouler dans les centimètres suivants. Aux cris du bois s’ajoutait le crissement douloureux des sabots d’acier des freins sur les roues.
A gauche, une paroi rocheuse verticale que l’on pouvait toucher de la main. A droite, à l’aplomb du train, la rivière Kwaï. Debout sur la plus basse marche extérieure du wagon, dont la porte était restée ouverte, Raoul eut un mouvement de recul lorsque l’invraisemblable empilement de poutres apparut sous ses pieds et le vide avec. Il remonta d’une marche. Puis il redescendit et finit par s’habituer au vide, au concert de bruits et il put admirer, sans retenue, l’éblouissante scène qu’il vivait. Debout sur les marches d’un train antédiluvien il franchissait un échafaudage du même âge avec, face à lui, les boucles d’un fleuve mythique où naviguaient des radeaux de bambous.
Rose qui avait préféré rester dans le wagon, penchait sa tête par le fenêtre en intimant à Raoul de ne pas “faire l’idiot” alors que, gagné par la confiance, il se tenait d’une main et se penchait encore plus au dehors pour la photographier.
Le passage si délicat franchi, le train accéléra jusqu’à 50 kilomètres à l’heure. De temps à autres, il s’arrêtait dans une gare et des écoliers descendaient.
Les gares se limitent à un écriteau sur lequel est peint le nom du lieu en noir sur fond blanc et à un banc protégé du soleil et de la pluie. Après deux heures de trajet au milieu des champs de cannes à sucre, de manioc, de maïs et parmi les bananeraies, le train s’immobilisa. Sa sirène émit de longs sifflements. Il s’apprêtait à l’ultime franchissement, celui du fameux pont sur la rivière Kwaï à Kanchanaburi. Mais auparavant, il prenait soin de signaler sa présence aux touristes qui avaient envahi la voie.
Plus solide que l’enchevêtrement de bois de Soi Yok au début du voyage, le pont est néanmoins franchi avec une lente majesté.
Devenu célèbre par le grâce d’un film, cette ligne de chemin de fer marque encore la ville de Kanchanaburi qui abrite un musée et deux cimetières où reposent 6900 des 16 000 prisonniers de guerre occidentaux morts lors de sa construction et aucun des 90 000 travailleurs civils asiatiques qui périrent également sous la férule japonaise.
Devenu train de ramassage scolaire et jouet pour les touristes, le “death railways” ne franchit plus le col des trois pagodes pour livrer de l’armement en Birmanie. Et s’il transporte encore des Japonais, ceux-ci ne sont plus armés que de caméscopes et d’appareils de photos avec lesquels ils se contentent de mitrailler le paysage. Les morts peuvent dormir en paix.