Commerce de rubis bruts à la frontière Birmane
Mae Sai, 8 mars 2002.
L’œil expert et la main agile, la femme sépare les bons rubis des moins bons, placés en tas sur sa table. Dans ce quartier de Mae Sai, elles sont des dizaines, comme elle, qui mettront un mois pour trier leur tas de pierres brutes, rouge violacé. Les hommes, eux, achètent et vendent. Venus de la Birmanie toute proche (la frontière passe à 200 mètres) les rubis les plus gros sont longuement examinés par les acheteurs. Ils s’aident pour cela d’une lampe spéciale dont le rayon lumineux révèle, en les traversant, la structure et la couleur
de chaque pierre.
Un vieux monsieur prend Rose sous son aile protectrice et lui explique :
- Les pierres extraites de Birmanie sont envoyées à Chanbury, au sud de la Thaïlande, où elles sont cuites, puis découpées avant d’être taillées puis polies.
- Quelle est leur valeur ? interroge Rose.
- Celle-ci 110000 Bahts (2900 euros), celle-la 10000. Des différences dues aux impuretés et à la couleur de la pierre, répond le vieux monsieur.
Plusieurs vendeurs proposent à Rose des pierres fort chères.
- Prenez garde, prévient le vieux monsieur, il est facile de se faire rouler.
- Je suis prête à en acheter quelques unes mais uniquement comme souvenir, lui précise Rose.
Un homme lui présente deux rubis bruts à bas prix. Pour Rose, le risque est minime. Elle ajoute 10 carats de petits rubis pour faire bonne mesure et s’avoue satisfaite. “Ouf, pense Raoul. Heureusement qu’elle se contente de pierres brutes”.
Le lendemain, il devra déchanter.
Un tour à moto les conduit dans un grand centre de production artisanale de vêtements, de tapis et de céramiques. On les laisse libres de visiter seuls tous les ateliers. Ils découvrent la technique de fabrication des tapis à l’aide de “Tufting gun”. Des perceuses portatives transformées en sorte de machine à coudre qui couvrent la trame d’un tapis avec des brins de laine coupés, à une vitesse stupéfiante. Leur mobilité permet de réaliser les motifs les plus complexes. Rose qui a commencé un tapis de laine il y a 30 ans, et l’a mis au placard il y a 29, parle de le ressortir, à condition que Raoul trouve le Suphasit Tufting gun ST 2010 fabriqué en Thaïlande! En attendant, elle craque pour un superbe pantalon qu’elle paye rubis sur l’ongle… beaucoup plus cher que les rubis de la veille.
Ce centre artisanal est soutenu par les Nations Unies et l’Etat thaïlandais dans le cadre du programme de reconversion des paysans du triangle d’or afin qu’ils abandonnent la culture du pavot tout en s’assurant un niveau de revenus correct. Le café, les plantes ornementales, l’artisanat de luxe ont presque entièrement remplacé la production de pavot dans ce lieu mythique où les frontières du Laos, de la Birmanie et de la Thaïlande se rejoignent.
La route que suivent Rose et Raoul se poursuit sur les pentes du Mont Doi Tung où la mère de l’actuel roi de Thaïlande a fait construire une superbe villa. Un trop long séjour en Suisse l’ayant contaminée, la demeure royale ressemble à un chalet en bois comme on en voit tant dans ce pays, si éloigné à tous points de vue de ceux d’Asie. Autour, ce ne sont que parterres et massifs de fleurs des régions tempérées auxquelles s’ajoutent celles des zones tropicales. Une symphonie de couleur, de verdure et d’arbres d’essences les plus diverses. Rose n’en croit pas ses yeux et nomme les fleurs une à une à Raoul qui, de lui même, ne saurait distinguer une pâquerette d’un coquelicot : impatiences, roses, dahlias, gueules de loup, géraniums, violettes, sauges, bégonias, pensées, le disputent aux orchidées, aux anthuriums et autres merveilles tropicales. Ce mont a reçu l’appellation de Suisse Thaïlandaise. La température y est plus fraîche que dans la vallée. Aussi, Rose et Raoul se vêtissent pour ne pas prendre froid. Sinon, ils risquent de recourir, dans quelques jours, à une autre spécialité suisse, les médicaments, dont la production en ces lieux est plus rare que celle du papaver somniferum.