Les limites de l’extrême : un voyage en bus Indien

Kajurao, 2 mars 2003

Voyager en Inde est facile. A preuve le parcours effectué par Rose et Raoul en compagnie d’Etienne et Martine depuis Kajuraho (extraordinaires temples) jusqu’à Varanasi (ex-Bénarès, célèbre pour ses bains et ses bûchers).

7 heures du matin, thé indien à la gare routière de Kajuraho.

7 h 20 les sacs à dos sont chargés sur le toit du bus.

7 h 30 sous les yeux ébahis de Raoul, le chauffeur installé derrière son volant joint ses mains, les porte à son front puis à sa poitrine et dit une prière, tel un toréador avant d’entrer dans l’arène. La partie promet d’être serrée.

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Une fumée bleue jaillit dans l’habitacle par un énorme trou autour du levier de vitesse qui laisse voir les entrailles du moteur et les tubulures d’échappement. Le bruit de formule 1 qui retentit, confirme que ces dernières sont largement percées. Dès les premiers tours de roue, les fumées sont canalisées sous la caisse de l’autobus évitant aux passagers d’être gazés.

Rose et Raoul Piche contemplent l’intérieur du bus. Un bus de tourisme standard indien. La crasse est partout en couches plus ou moins épaisses selon les endroits. Les nuances vont du gris pas trop léger au noir profond en passant par toutes les variétés de rose au marron rouge des traces de crachat de bétel en dessous des fenêtres. De multiples points d’encrage du mobilier intérieur sont dessoudés, ressoudés, voire dessoudés-ressoudés-dessoudés, offrant aux regards des amas vibrants de soudures inutiles. La vision à travers les fenêtres est difficile. Raoul crache sur une petite surface de l’une d’elles et frotte fort avec un papier pour tenter de redonner localement un peu de transparence. En quatre à cinq fois il y parvient. Rose s’interroge gravement ” Comment peut-on arriver à un tel degré de saleté ? “. Après réflexion la réponse s’impose à elle : du jour de leur mise en service ces engins n’ont jamais été lavés.

Lorsque la route est criblée de nids de poule le bus entre en vibration comme une navette spatiale avant son explosion. Mais par chance, un bus indien est plus fiable et parcourt plus de kilomètres qu’une navette. De temps à autres, les passagers sont projetés de droite et de gauche comme si la route comportait une subite courbe aussi serrée qu’inattendue. Non, la route est droite. Ces mouvements résultent d’une sèche manœuvre d’évitement des véhicules venant en face. Le chauffeur projette le véhicule sur le bas côté le temps du croisement pour le ramener tout aussi rapidement sur l’étroite bande goudronnée. Après trois heures de route, arrêt pipi, dans une gare routière. Raoul constate une nouvelle fois qu’il n’est pas utile de savoir lire l’hindi pour trouver les toilettes. Le nez suffit à guider vers le lieu convoité. Et ça repart. Les courts arrêts se multiplient dans la seconde partie du trajet pour embarquer ou débarquer des passagers plus ou moins lourdement chargés qui s’entassent dans l’allée du bus. Une femme debout, tenant un nourrisson dans les bras, le tend à Martine qui pouponne, ravie, mais inquiète de l’absence de couche du beau bébé. Les heures passent. La destination finale, Satna, sera atteinte après cinq heures de voyage. Soit 25 kilomètres à l’heure de moyenne pour effectuer 120 kilomètres. C’est tout de même beaucoup, beaucoup plus rapide qu’à pied.

A l’arrivée nos voyageurs s’entassent dans un rickshaw pour gagner la gare où ils espèrent attraper le train de Varanasi.”Les voyages en train sont bien plus confortables qu’en bus », claironne Raoul.

La suite lui prouvera que non.

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