Une rencontre qui justifie tous les voyages au bout du monde
Cusco, 19 janvier 2007
- Adjidjandjou panai, Rose
- Adjidjandjou turai, Raoul
Voilà les Piche qui se souhaitent mutuellement “bonne nuit” en quechua, la langue des indiens, descendants des Incas, nombreux dans la région de Cuzco l’ex capitale inca.
Leur premier cours dans cet idiome aux sonorités étranges, agréable à entendre, quasiment poétique, ils l’ont reçu lors d’un de ces moments pépites, une de ces parenthèses magiques surgie à l’instant le plus inattendu, dans le lieu le plus imprévisible et qui fait la saveur du voyage.
Les Piche viennent de se promener toute la journée sous un ciel presque trop pur à 4000 mètres d’altitude allant d’un site inca à l’autre sur les hauteurs de Cuzco. La visite la plus remarquable se termine, l’après-midi aussi.
Les Piche cherchent le sentier qui doit leur permettre de redescendre sur Cuzco.
Avec un couple argentin de rencontre, ils interrogent des paysans quechua qui leur indiquent les sentes les moins “peligroso”. Parvenus sur une plate forme herbeuse qui offre une vue spectaculaire sur Cuzco, 200 mètres en contrebas, les quatre voyageurs sont un peu perdus. C’est alors qu’ils l’aperçoivent, arrivant d’un sentier caché.
Un indien quechua, court sur pattes, au visage fortement typé, magnifique. Il renseigne avec gentillesse sur le bon chemin.
On échange quelques paroles. Rose pose une question et s’en suit un pur moment de bonheur.
L’homme est debout, en bordure de la plate forme herbeuse, tournant le dos au vide avec, derrière lui, les toits de Cuzco et, au loin les montagnes qui cernent la ville.
Face à lui et à ce panorama éblouissant, les deux Argentins et les Piche l’écoutent.
L’homme, est professeur de quechua.
Il sait tout de la culture inca, des temples que viennent de visiter les Piche, de leur mode de construction, de la forme symbolique de la ville de Cuzco (un puma, dont Rose et Raoul découvrent qu’ils piétinent la tête à cet instant même), du pillage des pierres taillées des temples incas par les catholiques pour construire leurs églises et du pillage par les Péruviens eux-mêmes jusqu’à des années récentes.
Il sait tout des plantes pour lutter contre le mal des montagnes, indiquant aux voyageurs que la plante ad hoc n’est pas la feuille de coca, comme on le dit, mais la munia, une sorte de feuille de menthe qu’il cueille à leurs pieds pour leur apprendre à la reconnaître.
Il raconte aux Piche les dieux incas :
- le soleil (H’anac pacha)
- l’esprit de la montagne (Apu)
- l’esprit de la terre (Patcha mama)
- les trois mondes dans lesquels vivent les Quechua, Uju pacha (le sous-sol, monde des morts), Kai pacha (la nature, la montagne, le monde des vivants), Annan pacha (le monde cosmique, celui de dieux).
Il leur décrit la trilogie inca formée par le serpent (la sagesse, la connaissance), le puma (la force, la guerre), le condor (la protection spirituelle).
Il leur apprend le sens à donner aux extrémités de la croix inca puis leur enseigne quelques mots de quechua en les faisant répéter pour parfaire la prononciation.
Les quatre voyageurs l’écoutent fascinés par sa voix claire, expressive, par son élocution lente qui coule avec naturel et simplicité si facilement que même Raoul en saisit tous les propos. Puis passant de l’espagnol au quechua, il déclame un poème avec d’élégants gestes dirigés tantôt vers le soleil (H’anac pacha), tantôt vers le sol (Patcha mama), tantôt vers le sous-sol (ujupacha), tantôt embrassant les montagnes alentour (orroco).
Finalement, l’homme remercie les voyageurs d’être venus de si loin pour découvrir sa culture.
Un comble !
C’est lui qui offre et lui qui remercie !
On se salue chaleureusement, il reprend son sentier, les Piche et les Argentins la voie qu’il leur a indiquée.
Ils ne savent pas son nom, ils ne le reverront jamais, pourtant il ne sont pas prêts de l’oublier.
A lui seul il justifie tous les voyages au monde.
Tupananachiskama (à bientôt)